Les mères-enfants du Costa Rica

La chronique féministe • Le Costa Rica fait face à un immense défi: les nombreux cas de grossesses chez les adolescentes de moins de 15 ans.

Pour trouver un sujet chaque semaine, je me constitue une banque d’informations, au gré de ce que j’entends à la radio ou lis dans les journaux. Un article paru dans Le Courrier du 1.7.19, avait attiré mon attention. Son auteure, Charlotte Robert, a passé 15 ans au Costa Rica, en Amérique centrale, où elle soutient activement l’action de la clinique pour adolescentes de l’Hôpital Calderon Garcia, à San José. Le pays fait face à un immense défi: les nombreux cas de grossesses chez les adolescentes de moins de 15 ans. En 2000, 611 filles âgées de 10 à 14 ans ont donné naissance à un enfant. Ce chiffre est tombé à 428 en 2010, remonté à 509 en 2014, puis, grâce aux efforts du gouvernement, a baissé à 301 en 2017.

Les dangers qui guettent ces jeunes filles sont multiples: la mort durant la grossesse ou l’accouchement (en dessous de 16 ans, le risque de décès maternel chez les adolescentes est 4 fois plus élevé que pour une femme de plus de 20 ans, selon l’OMS), mais aussi les infections et l’hypertension artérielle. Les filles de 10 ou 11 ans sont de petite taille et de faible poids: la plupart atteignent à peine 28 kilos. Par ailleurs, l’ossification des vertèbres et du bassin n’est pas terminée. En conséquence, les nouveau-nés ont un faible poids et les naissances sont souvent assorties de complications. Les problèmes de santé ne sont pas rares chez ces bébés, qui présentent un risque élevé de décès durant le premier mois ou la première année de vie.

Les causes des grossesses précoces

Parmi les nombreux facteurs, on peut citer la pauvreté, le viol, l’exclusion du système éducatif, les difficultés de communication familiale, l’absence d’éducation sexuelle, notamment dans la famille. A quoi s’ajoutent les antécédents familiaux, l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, l’image sociale de la femme célibataire. Une grossesse précoce crée un cercle vicieux: il est difficile aux adolescentes de poursuivre leur scolarité, elles se retrouvent souvent à la marge et dans une situation précaire. De plus, on peut parler d’héritage familial: ce sont souvent les filles de mères-enfants qui le deviennent à leur tour.

Des mesures de prévention

Pour amélioration cette situation, il faut investir dans l’éducation, la prévention et dans le soutien aux familles des adolescentes. Les parents sont souvent démunis pour leur parler du plaisir sexuel, des risques encourus et des moyens contraceptifs à disposition. Au Costa Rica, la Protection nationale de l’enfance (PANI) travaille avec des promoteurs de la jeunesse chargés de détecter les situations à risque. Une des difficultés rencontrées par ces professionnel.le.s est l’accès aux familles les plus pauvres, qui vivent à la périphérie du pays, aux frontières du Nicaragua et du Panama. La PANI distribue également des contraceptifs, mais si une jeune fille demande l’avis d’un médecin, elle doit être accompagnée par son père ou sa mère. Depuis peu, il est toutefois possible de se faire accompagner par une infirmière.

Les obstacles

La législation costaricaine prévoit la possibilité d’avorter seulement «en cas de danger pour la vie ou la santé de la mère et s’il n’y a aucun autre moyen d’éviter ces risques» (article 121 du Code pénal). S’il y a désaccord entre médecins, l’avortement n’est pas pratiqué, ce que confirment les faits. Directrice de la clinique pour adolescentes de l’Hôpital Calderon Garcia, à San José, la Doctoresse Rita Peralta relève qu’en 15 ans de pratique dans le cadre de cet hôpital – le plus grand du pays -, elle n’a connu que deux avortements de mineures! Les mineur.e.s costaricains n’ont pas le droit d’acheter des contraceptifs. Une adolescente ne peut pas avoir accès aux services de santé sexuelle et reproductive à titre confidentiel: à l’issue d’une consultation, le médecin a l’obligation de prévenir ses parents. Une discussion est en cours à l’Assemblée nationale pour décider si les jeunes filles auront besoin d’une ordonnance médicale pour obtenir la pilule du lendemain. Dans ces conditions, les parents qui promeuvent l’abstinence sexuelle jusqu’au mariage soumettent leurs filles à un risque énorme.

Des études montrent par ailleurs que lorsque les premières relations sexuelles ont lieu entre 10 et 14 ans, la moitié sont de nature abusive (selon la définition costaricaine, il y a abus quand l’écart entre l’âge du partenaire et celui de la jeune fille est de 5 ans ou plus). Souvent, la relation a lieu en contrepartie d’argent ou d’une récompense, sans parler des actes non consentis commis avec violence ou dans le cadre de l’inceste. Cela en dépit de la loi «contre les relations inappropriées», votée en 2016, qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison. Le niveau de scolarité influe également sur le risque de grossesse précoce. Les filles de parents pauvres ou marginalisés, qui n’ont pour la plupart jamais été scolarisées ou qui ont arrêté l’école à la fin du primaire, ont un risque 4 fois plus élevé que celles qui ont suivi l’école secondaire ou ont fréquenté l’université.

Apprendre à devenir parent

Au-delà des questions d’information et de prévention, le Doctoresse Peralta pointe la nécessité de prendre en charge une autre conséquence tragique pouvant découler des grossesses précoces: la maltraitance infantile. «Apprendre aux filles à aimer leur bébé, à transformer leur colère en amour» est le travail le plus important effectué dans sa clinique, explique-t-elle. Qu’elle soit adolescente ou adulte, une femme porteuse d’une grossesse non désirée veut souvent «tuer le rat qui est dans son ventre», selon les mots employés par certaines jeunes filles. La prise en charge psychologique de ces jeunes filles demande un suivi important, selon la médecin. De plus, «il s’agit également de leur fournir des moyens contraceptifs pour qu’une nouvelle grossesse non désirée ne se produise pas.» Des cours destinés aux pères, souvent adolescents, font partie de la démarche. Parents, familles, écoles, églises, administrations, entreprises… tous doivent prendre soin des adolescents, filles et garçons, en les considérant comme des personnes à part entière et non comme des jouets.

Commentaire

Il est affligeant qu’au 21e siècle, tant de fillettes soient encore les victimes de systèmes aberrants qui, au lieu de les informer, les éduquer et les protéger, les abandonnent à des prédateurs de tout âge, en leur refusant l’accès aux moyens contraceptifs et à l’avortement. Obliger une fillette à mener une grossesse à terme, puis à élever un enfant non désiré, est aussi scandaleux que criminel.