Les entraîneurs-violeurs

La chronique féministe • Quand il s’agit d’adultes harcelé.e.s, c’est déjà pénible à entendre, mais quand il s’agit d’enfants, cela donne la nausée.

Quand il s’agit d’adultes harcelé.e.s, c’est déjà pénible à entendre, mais quand il s’agit d’enfants, cela donne la nausée.

Malheureusement, aucun milieu n’est épargné par les agissements criminels de pervers sexuels. Après les scandales de pédophilie au sein de l’église catholique, les révélations d’actrices de renom sur Harvey Weinstein, celles qui concernent Gabriel Matzneff et le milieu littéraire, voici les témoignages relatifs au milieu sportif en général et au patinage artistique en particulier.

Chaque fois, il faut que des victimes courageuses parlent. Parfois des années, des décennies après les faits. Il y a eu le livre Le Consentement de Vanessa Springora, pour qu’enfin, les préférences sexuelles du Matzneff pour les enfants de moins de 16 ans soient stigmatisées, puis poursuivies. Aujourd’hui, c’est Un si long silence de Sarah Abitbol, ancienne championne de patinage, qui raconte l’horreur et l’indicible. La vice-championne d’Europe en couple en 2002 et 2003 accuse son ancien entraîneur, Gilles Beyer, qu’elle appelle «Monsieur O.», d’agressions sexuelles et de viols entre 1990 et 1992. «Il a commencé à faire des choses horribles, jusqu’aux abus sexuels. J’ai été violée à 15 ans. C’était la première fois qu’un homme me touchait», confie-t-elle. Beyer fait l’objet d’une enquête judiciaire au début des années 2000, qui n’aboutit pas, puis d’une enquête administrative, qui conduit le ministère des Sports à mettre fin à ses fonctions de cadre d’Etat, le 31 mars 2001. Néanmoins, il effectue plusieurs mandats au bureau exécutif de la Fédération française des sports de glace jusqu’en 2018 et parvient à poursuivre sa carrière d’entraîneur dans le club «Les Français volants», présidé par son frère Alain, jusqu’à son éviction vendredi 31 janvier 2020. Il a donc encore sévi pendant près de 20 ans… Depuis la parution du livre, les témoignages affluent sur l’omerta qui règne dans le sport.

A travers de nombreux témoignages, on apprend à quel point des actes sexuels imposés sont traumatisants pour les victimes, qui ont toutes les peines du monde à se reconstruire et à mener une vie affective. On imagine. De jeunes enfants, de moins de 10 ans, pris en charge par un entraîneur tout-puissant, qui les encadre pendant des heures, plusieurs fois par semaine, exige, fait miroiter un destin de champion.ne, les emmène dans des stages d’entraînement, dans des lieux de compétition… Les enfants subjugués par leur guide, désireux de progresser vers la gloire, éloignés de leur famille… Quand l’entraîneur-pervers les agresse, non seulement ils et elles ne comprennent pas ce qui leur arrive, mais n’osent pas en parler, et continuent à subir…

Les rares qui se plaignent ne sont pas cru.e.s, ou sont ostracisé.e.s, parce qu’ils et elles «salissent» la réputation de la fédération, du sport, si ce n’est l’honneur du pays! Denise Bombardier, la seule qui s’était insurgée contre les mœurs de Matzneff, sur le plateau de Pivot, a été insultée sur le moment, et pendant des années par différents médias. On mesure ce que cela doit représenter pour des enfants ou des adolescent.e.s.

Il n’y a probablement pas d’échelle dans l’ignominie, mais le fait que les victimes n’aient pas été entendues pendant des décennies est effroyable. Que ce soit à l’intérieur de l’église catholique, dans le milieu du cinéma, de la littérature, de l’édition, du sport, de l’enseignement, de la politique, de la justice, de la médecine, du social, la surdité et l’omerta régnaient.

Il s’agit d’un système. Certes, les prédateurs, harceleurs, violeurs représentent une minorité (surtout constituée d’hommes), qui se situerait entre 2% et 5%, mais il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’établir une statistique, notamment à cause du silence des victimes et du peu de plaintes qui débouchent sur un procès. Ils sont protégés par la profession et la hiérarchie, qui prétend chaque fois n’avoir pas été au courant!

Accusé d’avoir couvert les agissements de plusieurs entraîneurs, le président de la FFSG Didier Gailhaguet a finalement présenté sa démission samedi 8 février. Cette tolérance repose sur une vision ancestrale que les femmes sont à la disposition du désir masculin. La publicité, hélas, ne fait que prolonger et souligner cette représentation. Ce qui conduit à des dérives chez les quidams, qui se sentent «autorisés» à tenir des propos et/ou des gestes sexistes et lourds ou relevant du harcèlement, comme l’a démontré l’affaire de l’ex-conseiller national PDC valaisan Yannick Buttet, fin 2017 (tentatives d’embrassade, d’attouchement sur les parties génitales, placages avec érection, mains aux fesses, propositions insistantes par SMS). Chacun.e a subi les plaisanteries sexistes qui fleurissent un peu partout, notamment lors de voyages organisés. Rappelons qu’en Suisse, une femme sur 5 subit du harcèlement, et qu’un féminicide a lieu tous les 15 jours.

Il est également sidérant de constater à quel point la justice est aveugle et lente. Souvenons-nous du pédophile Léonide Kamenef, qui avait fondé en 1969 «l’Ecole en bateau», une expérience alternative. Il emmenait sur un voilier pendant des mois, voire des années (!?), des garçons et des filles dès 9 ans, qu’il obligeait à vivre nus, à pratiquer des séances de massage et de masturbation communes et qu’il finissait par violer. La première plainte date de 1994, suivie d’un non-lieu, la 2e de 2000. Il fut finalement arrêté au Venezuela en 2008 puis jugé en 2013 et condamné à 12 ans de prison par la Cour d’Assises des mineurs de Paris. Il aura fallu 20 ans!

Dans ces affaires, on peut se demander quelle est la responsabilité des parents. Il paraît aberrant de confier son enfant pendant des mois ou des années à un moniteur, qui les emmène au bout du monde sur un voilier, comme de laisser sa fille à la merci d’un photographe pédophile, ou d’un entraîneur tout-puissant.

Les hommes qui ne sont pas des harceleurs (la grande majorité) devraient s’unir aux femmes pour s’insurger contre ce fléau, contre la domination du patriarcat, pour dénoncer les actes de harcèlement dont ils sont témoins, afin de construire une société plus juste, où il fait bon vivre ensemble, où l’on peut s’aimer, comme le chante Yvette Théraulaz à la fin de son spectacle «Histoires d’ILS», que je vous recommande chaleureusement.