La Ville de Genève veut féminiser seize rues et places

La chronique féministe • Parallèlement au programme de la semaine de l'égalité, la Ville et le Canton ont présenté leur projet de féminiser les noms des rues, des parcs et des places publiques.

Elles font plaisir à voir, les mines réjouies de Sandrine Salerno, Sami Kanaan et Antonio Hodgers, quand ils portent des écriteaux de rue dédiés à des femmes, pour en promouvoir une meilleure visibilité.

La Semaine de l’égalité aura lieu à Genève du 28 février au 8 mars, centrée sur les droits politiques des femmes. Le 6 mars sera célébré le 60e anniversaire de l’obtention du droit de vote et d’éligibilité des femmes dans le canton de Genève en 1960, 11 ans avec son obtention sur le plan fédéral.

«Aux urnes, citoyennes!»: la semaine abordera les thèmes des genres, des droits politiques et de la citoyenneté. La Ville de Genève propose des événements tout public, avec des ateliers et du théâtre, mais également des tables rondes et des conférences. «La plupart des droits accordés aux femmes sont finalement très récents», relève Sandrine Salerno, Maire de Genève. Le congé maternité, par exemple, n’est entré en vigueur en Suisse qu’en 2004. Pendant longtemps, la question de pouvoir concilier vie professionnelle et vie familiale s’est posée, et se pose encore. Sandrine Salerno l’a elle-même vécue.

Sont notamment prévus: une bibliographie non stéréotypée et inclusive, réunissant plus d’une centaine de références et de nombreux événements, mis sur pied par le service Agenda 21 – Ville durable, les Bibliothèques municipales et d’autres partenaires. La participation des Bibliothèques municipales réjouit le conseiller administratif Sami Kanaan: ce sont des lieux propices au débat.

Parallèlement au programme de la semaine, la Ville et le Canton ont présenté leur projet de féminiser les noms des rues, des parcs et des places publiques. Après l’action de «100Elles» en 2019 et ses plaques fuchsia, ce sont à présent des plaques bleues officielles qui verront le jour, avec des noms de personnalités féminines ayant marqué l’histoire genevoise. Une façon de faire avancer le débat sur les questions «hommes-femmes», selon Antonio Hogders, président du Conseil d’Etat et chef du département du territoire. 16 plaques portant des noms de femmes vont donc être créées. L’objectif est d’arriver à 100.

Si cette démarche peut paraître une goutte d’eau dans l’océan, «chaque pas compte», pour Antonio Hodgers. Ainsi, la rue Baulacre deviendra «Rue Elisabeth-Baulacre», 1613-1693, cheffe d’entreprise; celle de la Pisciculture, Rue des Trois-Blanchisseuses (mortes dans un accident le 1er août 1913); le ch. Louis-Dunant s’appellera Ch. Camille-Vidart, 1854-1930, présidente de l’Union des femmes de Genève; la rue Jean-Violette prendra le nom de Grisélidis-Réal, 1929-2005, écrivaine et prostituée; l’av. William-Favre sera l’Av. Alice-Favre, 1851-1929, présidente de la Croix-Rouge genevoise; la Place des vingt-deux cantons, Place Lise-Girardin, 1921-2010, première maire de Genève.

Bien sûr, comme pour les panneaux des passages piétons féminisés, cette initiative fait grincer des dents. Mais elle est salutaire. Dans le canton de Genève, seules 41 rues sur 589 rendent hommage à des femmes, soit 7%. La plus populaire des héroïnes de l’Escalade, la Mère Royaume, Catherine Cheynel de son nom de naissance, n’a droit qu’à une ruelle de 150 mètres aux Pâquis. Parmi les rares élues, on trouve la journaliste Emilie Gourd, l’écrivaine Alice Rivaz ou encore la doctoresse Marguerite Champendal. «Symbole de la domination masculine dans l’histoire et, partant, dans l’espace public, ce déséquilibre n’est pourtant pas motivé par des critères de sélection objectifs», souligne Myriam Gacem, membre de L’Escouade, association féministe genevoise. La loi ne fait en effet aucune mention du genre: la personne honorée doit avoir marqué de manière pérenne l’histoire de Genève et être décédée depuis plus de dix ans. Force est de constater que la marge d’interprétation a laissé place à l’arbitraire. Le dossier sera déposé fin février auprès de la Commission cantonale de nomenclature. Elle statuera lors de sa séance du mois de mars. Le Conseil d’Etat devra ensuite valider sa décision.

Trop masculine, voire parfois politiquement incorrecte, la nomenclature des rues est fréquemment remise en question, en Suisse et ailleurs. Preuve tangible de la mémoire collective, elle agit comme un baromètre de la sensibilité, rendant soudain encombrantes certaines personnalités jadis encensées. A Neuchâtel, l’espace dédié au scientifique Louis Agassiz, éminent glaciologue également auteur de thèses racistes, a été débaptisé l’an dernier au profit de Tilo Frey, première élue noire au Conseil national. En matière de genre, le déséquilibre actuel apparaît lui aussi comme le reliquat d’un monde où les femmes ne comptaient pas, ou peu. Face à la pression, les villes tentent de renverser la tendance. Lausanne a récemment décidé d’attribuer les quatre premiers noms de rues du futur écoquartier des Plaines-du-Loup à des femmes.

Les communes s’y mettent aussi. Celle de Meyrin va nommer Renée-Pellet (1905-2006) la voie de mobilité douce reliant le chemin du Vieux-Bureau et la rue Emma-Kammacher. Renée Pellet fut la première femme à avoir été élue dans un exécutif communal en Suisse, le 2 octobre 1960.

Onex, commune d’origine de sa famille, va dédier une place à Monique Bauer-Lagier (1922-2006), l’espace public bordant la route de Chancy. Ses parents privilégiant l’éducation de ses frères, elle ne peut pas s’inscrire à l’université (!) et se tourne vers la pédagogie. Elle défend différentes causes, sensible aux questions de l’environnement, des inégalités sociales et de la reconnaissance des femmes. Elle entre en politique en 1973, avec son élection au Parlement cantonal de Genève, qu’elle envisage comme une suite de ses engagements sociaux. En 1975, elle est élue au Conseil national, où elle siège jusqu’en 1979 avant d’entrer au Conseil des Etats pour deux mandats. Elle milite notamment pour une représentation égalitaire des des femmes et des hommes.

Il est temps de renverser la vapeur et d’accorder aux femmes la place qui leur revient, d’autant plus que Genève regorge de femmes illustres, ambitieuses par leur œuvre ou leur engagement (cf. chronique du 1.11.19.) Je trouve que toutes les nouvelles nominations de chemins, rues, places, avenues devraient honorer des femmes… jusqu’à ce que la parité soit atteinte.
P.S. Quelle galère pour trouver des informations sur Renée Pellet… on tombe systématiquement sur UN René Pellet!  Il y a encore du boulot!