Bilan du confinement

La chronique féministe • Nous avons perdu notre liberté. Que nous avons partiellement recouvrée. Et maintenant? Il va falloir reconstruire. Mais pas comme avant.

A la fin du confinement, malgré les restrictions qui persistent, il me semble important de dresser un bilan. La Chine a confiné ses habitants dès le 23 janvier, des images qui nous semblaient surréalistes, puis l’Italie fut atteinte et confina dès la mi-février. Cela devenait inquiétant: un pays européen prenait les mesures drastiques venues de Chine, puis les autres ont suivi, lundi 16 mars en Suisse et en France, comme dans la majorité des pays européens. L’Amérique du Nord et du Sud, malgré l’aveuglement de Trump et Bolsonaro, l’Asie, la Russie, l’Australie, l’Afrique, le monde entier.

D’un jour à l’autre, tout fut paralysé, les villes et les routes se sont vidées, les lieux de loisirs que sont les cafés, restaurants, cinémas, théâtres furent fermés, les avions cloués au sol, les gens se sont retrouvés bloqués chez eux. Cependant, il a bien fallu que les hôpitaux continuent de fonctionner, que les supermarchés et les commerces alimentaires continuent de nourrir la population. Les écoles étant fermées, on a mis sur pied un enseignement par Internet et un certain nombre d’employé.e.s ont utilisé le télétravail.

Soudain se dressait sous nos yeux la carte des métiers indispensables au bon fonctionnement d’une société: le personnel soignant, celui de la chaîne alimentaire, dont les caissières, les livreurs, les éboueurs, les postiers. Comme par hasard, les métiers les plus mal payés.

Au début, il s’agissait de ne pas encombrer les hôpitaux qui accueillaient les malades du Covid-19, de ne pas devoir choisir, comme en temps de guerre, ceux qui auraient droit ou non aux respirateurs. Naturellement, en Italie surtout, il y eut des sacrifiés, les personnes âgées déjà malades, dont un nombre de décès élevé dans les EMS. Je le répète ici, je ne suis personnellement pas choquée que des personnes âgées, dépendantes et malades meurent une année ou deux plus tôt que si le coronavirus ne les avait pas atteintes.

Si le confinement a sauvé 60’000 personnes en Europe, sur 446 millions d’habitants (pour l’UE, ndlr), cela représente 0,014%. Au 26 mai, on dénombrait 347’000 morts dans le monde, moins de 2000 en Suisse, deux fois plus que la grippe saisonnière. Les cantons les plus touchés ont été Vaud, Genève, Zurich et le Tessin. Les cantons primitifs n’ont déploré qu’une centaine de cas… et Appenzell Rhodes-Intérieures… presque aucun! Il est vrai que ce canton se confine tout seul en temps normal, que son horizon ne dépasse pas la place de la Landsgemeinde et qu’il est aussi fermé que possible aux étrangers.

Le tableau de morts par âge est particulièrement révélateur. Il n’y a presque pas de décès jusqu’à 49 ans, 40 sur 6256 cas chez les 50-59, 124 sur 3677 chez les 60-69, 338 sur 2910 chez les 70-79, 1162 sur 4487 chez les 80 ans et plus. On passe de 0,6% de mortalité chez les premiers à 25% chez les derniers. Les chiffres sont bien inférieurs aux grandes épidémies qui ont décimé la population, comme la grippe espagnole qui coûta 40 à 50 millions de morts.

Valait-il donc la peine de confiner le monde entier et de mettre l’économie à plat pendant 3 mois? Les conséquences vont être terribles: faillites en chaîne, chômage en hausse, dans tous les domaines, recul de plusieurs années, séquelles physiques et psychiques chez les personnes qui ont connu l’enfermement…

Le confinement n’a pas été décrété de la même manière dans tous les pays, il fut relativement doux en Suisse, mais strict en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni et en France, où l’on amendait les personnes qui sortaient sans raison valable. Les pays nordiques ont pratiqué le demi-confinement, et la Suède n’a pas confiné, se contentant d’interdire les grands rassemblements, elle a fait confiance à ses citoyen.ne.s, comme la Suisse.

Si nous devions respecter les gestes barrières, nous pouvions nous promener, pratiquer un sport. Il était ainsi plus facile de supporter le confinement. Mes ami.e.s se sont adapté.e.s. La plupart, comme moi, ont commencé par ranger leur appartement, celles et ceux qui possèdent un jardin y ont travaillé davantage, ont marché, découvert des endroits, lu, regardé des retransmissions de films, pièces de théâtre, concerts, opéras ou les vidéos des artistes.

Mes auteur.e.s ont écrit des poèmes qu’Anouk a rassemblés sur un blog, ils paraîtront dans le livre «Grains de sable» que je vais publier. Je n’ai jamais autant apprécié mon jardin que pendant cette période. Nous sommes des privilégié.e.s. J’ai plaint les Parisiens enfermés dans de petits appartements sans balcon, ou entassés à plusieurs dans ceux des banlieues, les femmes et les enfants battu.e.s, les travailleurs au noir qui se retrouvaient sans revenu du jour au lendemain et les malheureux migrant.e.s qui continuaient à traverser la Méditerranée et à y mourir.

La crise a mis en évidence comme jamais les inégalités sociales. On ne pourra pas oublier les files de personnes qui attendaient des heures, aux Vernets, pour recevoir un sac de nourritures d’une valeur de 20 fr. Les images ont d’ailleurs fait le tour du monde. Genève-la-riche produit une pauvreté insupportable. 15’000 sans- papiers vivant depuis des années chez nous participent au confort de la société mais ne reçoivent pas d’aide sociale. Il faut les régulariser. Celles et ceux qui n’avaient plus besoin de leur nounou ou de leur femme de ménage les ont licenciés sans les payer. Une honte.

La pandémie a montré à quel point les pays occidentaux s’étaient rendus dépendants de la Chine quand ils manquèrent de masques, surblouses, gants, charlottes, désinfectants, tests, respirateurs et autres produits indispensables. Les discours ont d’ailleurs varié en fonction des stocks de masques: inutiles quand il n’y en avait pas, obligatoires quand il y en avait. Les politiques ont démontré, à ce propos, une impéritie et une hypocrisie qui ne seront pas non plus oubliées.

Des scientifiques, qui vivent généralement dans la tranquillité de leur laboratoire, ont soudainement été mis sous le feu des projecteurs, comme Daniel Koch, à la voix monocorde, qui accompagnait Alain Berset à chaque conférence de presse, et qui a pris congé en pénétrant tout habillé dans l’eau, le Pr suisse Didier Pittet, épidémiologiste, inventeur de la solution hydro-alcoolique pour l’hygiène des mains, la toujours souriante Anne-Claude Crémieux, professeur en maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, le virologue belge Peter Piot, la microbiologiste néerlandaise Elisabeth Bick, le Pr Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses, qui a beaucoup fait parler de lui, en préconisant l’hydroxychloroquine avant tout le monde, puis en insultant ses confrères et les médias. A ce jour, on ne sait toujours pas si ce médicament contre le paludisme est efficace contre le Covid-19.

On a appris de nouveaux mots: coronavirus, Covid-19, pangolin, gestes barrières, distance sociale, (dé)confinement, gel hydroalcoolique, télétravail, anosmie, agueusie, asymptomatique, épicentre, frottis nasopharyngé, gouttelettes, OFSP, clap, apéro-Skype, fête au balcon et le curieux «cluster», alors que le mot «foyer» dit la même chose. On a appris comment se laver les mains, comment fixer un masque. On a applaudi tous les soirs le personnel soignant, les enfants leur ont fait des dessins. Sans pollution, on a mieux respiré, entendu le chant des oiseaux, la nature s’est épanouie

.On n’a jamais autant parlé d’épidémiologie, de recherches scientifiques, du long chemin de validation des médicaments et vaccins que pendant cette crise. On a assisté, incrédule et désolé.e, aux trumperies quotidiennes.

Nous avons perdu notre liberté. Que nous avons partiellement recouvrée. Et maintenant? Il va falloir reconstruire. Mais pas comme avant. Il faut tirer des leçons de ce difficile vécu. D’abord, il faut revaloriser les métiers qui se sont révélés indispensables et mal payés. Nous rendre indépendants de la Chine pour tout ce qui concerne l’indispensable: les masques, surblouses, tests, respirateurs, etc. Investir dans ce que Jacques Attali appelle «l’économie de la vie»( Ed. Fayard, 2020).: la santé, la gestion des déchets, la distribution d’eau, le sport, l’alimentation, l’agriculture, l’éducation, l’énergie propre, l’assurance, le numérique, le logement, la culture.

Il faut œuvrer à une meilleure répartition des richesses. Ne pas accepter que des gens aient faim, que des migrants meurent en voulant trouver une vie meilleure, que d’autres ne puissent pas vivre de leur travail, qu’il y ait des inégalités dans les salaires. Il faut lutter contre le réchauffement climatique, qui met en péril l’avenir des générations futures. Il faut que cette pandémie n’ait pas immobilisé le monde pour rien.