Femmes: les raisons de la colère

Egalité • Dans le sillage de la Grève féministe de dimanche dernier, la sénatrice Verte Lisa Mazzone, la syndicaliste Michaela Bovolenta ainsi qu’une figure de proue du Collectif de la Grève, Fabienne Abramovich, font un état des droits et situations des femmes sous pandémie et au-delà. Alarmant.

Des femmes de plusieurs générations unies. L’un des grands acquis de la Grève féministe et des femmes. (GF Genève)

Egalité salariale, revalorisation des retraites, retour à la normale… Autant d’injustices et d’inégalités, sujets de colère, de revendications et d’avancées à concrétiser dans une convergence souhaitée des luttes.

Egalité salariale, du bruit pour rien

La révision de la loi fédérale sur l’égalité entre hommes et femmes (LEg) entre en vigueur le 1er juillet 2020. Nulle pénalité pour les employeurs qui ne respecteraient pas l’égalité salariale. Ils sont juste tenus d’informer leur personnel du résultat des contrôles réalisés. Pour la Conseillère aux Etats Lisa Mazzone, on croit rêver: «Cette loi est totalement insatisfaisante. Les rapports ne suffisent pas, surtout si aucune sanction n’est prévue quand ils ne sont pas réalisés. Il est essentiel d’imposer la transparence des salaires et un salaire minimum digne. Il faudrait aussi introduire, comme en Islande, une loi qui prévoit que c’est aux entreprises de prouver qu’elles paient de la même manière les femmes et les hommes, sans quoi elles s’exposeraient à des sanctions. Prouver, et non rapporter.»

Selon l’Office fédéral de la statistique, les femmes dans le secteur privé sont rémunérées 14% de moins que les hommes. Irréaliste, selon la syndicaliste Michaela Bovolenta. Elle corrige à la volée, soulignant que l’écart moyen est à 19%. Avant de préciser que le calcul statistique se fait sur la base de salaires standardisés à plein temps. Or la majorité des femmes travaillent à temps partiel, et accompli en sus du travail gratuit. «Si on tient compte non pas des médianes et moyennes standardisés à un plein temps fictif, mais du salaire que les femmes touchent réellement à la fin du mois et qui leur permet de payer courses, loyer et assurances maladie, l’écart grimpe à 35%.»

Son constat est d’une sévérité sans appel relativement à la nouvelle législation: «Face à cet abysse, la révision de la LEg a accouché d’une petite souris: non seulement il n’y a ni sanction, ni obligation de corriger les éventuelles inégalités, mais le choix a été de ne s’attaquer qu’aux dites discriminations inexpliquées qui représentent environ 40 % de la différence des salaires moyens, standardisé à plein temps et la méthode retenue inclut une marge de tolérance de 5%. Autant dire qu’on fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose.»

Mesures contraignantes

Il s’agit d’un point extrêmement grave avec des inégalités de revenus selon les genres allant de 14 à 30 % en moyenne. C’est péjorant pour l’ensemble des citoyennes et citoyens que les femmes ne puissent être rémunérées convenablement, d’après la cinéaste et chorégraphe Fabienne Abramovich. «On peut ainsi imaginer que dans un couple, la situation serait plus aisée si la femme était à compétences et valeurs égales rétribuée de manière décente. Songeons à l’âge de la retraite qui découvre les femmes majoritairement dans la précarité. Donc dans une certaine forme de dépendance financière. Et en ce sens, cette situation n’est plus acceptable.»

Au chapitre de la représentation politique au plan fédéral, la part des femmes parlementaires est de 42% au National, les Sénatrices plafonnent à 26,1 % et au Conseil fédéral, les femmes représentent 42,9%. Comment encourager ici au mieux la parité selon Lisa Mazzone? «Il faut des mesures contraignantes pour des listes paritaires, car aujourd’hui tout repose sur les partis politiques, qui n’ont de loin pas tous des structures favorisant les femmes. La Confédération doit mener une vaste campagne de promotion de l’égalité. Egalité aussi au pouvoir! Il faut également intégrer dans la Constitution sur la composition du Conseil fédéral que les genres doivent être justement représentés.»

Retraites: la misère

Fabienne Abramovich rappelle que, malgré notamment les avancées verte et violette aux élections fédérales de 2019, beaucoup reste à réaliser. «Au sein du collectif de la Grève des femmes et d’Action Intermittence, nous travaillons sur la question des retraites des artistes de manière générale. Mais ce qui me tient à cœur dans cette lutte féministe est de rendre conscient que la protection des femmes artistes est indispensable.» Contraintes à une «grande précarité leur vie durant», elles devront recourir aux prestations complémentaires, la retraite venue.

«Après 40 années de travail avec des compétences, on a encore moins de valeur en tant que femme à 65 ans. On peut estimer la fourchette de ces retraites entre 1500 et 2500 francs en moyenne. Pour ne citer que cet exemple parlant: Noemi Lapzeson, pédagogue, chorégraphe et danseuse argentine multiprimée, à l’origine en 1986 avec Philippe Albèra de la création de l’Association pour la danse contemporaine (ADC) genevoise, touchait des aides sociales avant son décès survenu le 11 janvier 2018 à 77 ans.»

Aux yeux de Michaela Bovolenta, les Collectifs de la grève féministe et des femmes exigent le retrait du projet d’AVS 21 visant à augmenter l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Elle relève un constat largement partagé: les personnes de plus de 55 ans ont des difficultés à rester et retrouver un emploi en cas de licenciement. Cette réalité touche davantage les travailleurs précaires et avec des bas salaires, majoritairement des femmes. «Cela dit, une hausse des rentes est nécessaire et urgente.Si une 13e rente est une mesure positive qui va dans le sens de renforcer le 1er pilier, elle ne suffit pas.»

Pour améliorer les retraites des femmes, fini de tergiverser: «Il faut revoir de fond en comble le système et renforcer massivement l’AVS au détriment du 2e pilier. Si les femmes ont des rentes trop basses, c’est que le système de retraites ne prend pas en compte la réalité de leur travail, en particulier du travail de care, non rémunéré. Le système des trois piliers a en effet été construit sur un modèle de carrière masculine: un plein temps pendant toute la vie professionnelle, qui ne correspond pas au parcours de vie et professionnelle des femmes.C’est donc tout le système qu’il faut revoir afin de renforcer le 1er pilier au détriment d’un 2e pilier profondément inégalitaire.»

Quant à Lisa Mazzone, elle affirme l’importance cruciale d’une treizième rente «car les femmes sont nombreuses à ne bénéficier que de l’AVS (un tiers), qui doit absolument être rehaussée pour permettre de vivre dignement. Ce n’est pas la seule mesure à prendre. En effet, les rentes du deuxième pilier sont en moyenne deux fois inférieures à celles des hommes. Il faut également mieux prendre en compte les temps partiels et les bas salaires dans le second pilier et les interruptions professionnelles liées à la prise en charge des enfants.»

Economie: les femmes peuvent attendre

Pour les postes de cadres dans l’économie, les femmes sont sous-représentées en Suisse, d’après un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) publié en mai 2019. En Europe et en Asie centrale, seuls l’Italie, le Kazakhstan et Israël rémunèrent encore moins bien les femmes cadres par rapport à leurs homologues masculins. Sur l’ensemble des employé.e.s, la Suisse est la troisième plus mauvaise élève de la classe, derrière l’Autriche et Israël, pointe l’OIT se basant sur  sondage auprès de 13’000 entreprises de 70 pays au total. Le Parlement helvétique a récemment révisé le droit de la société anonyme. Résultat?  Les conseils d’administration (CA) des entreprises cotées – 250 en Suisse – devront compter au moins 30% de femmes et 20 % dans les directions. Pour une mise aux normes, le délai est de 5 ans pour les CA et une décade pour les directions.

Selon Lisa Mazzone, la situation est globalement très insatisfaisante: «C’est un premier pas, mais ces quotas sont beaucoup trop bas et lents à mettre en place. Il n’y a pas non plus de raison de maintenir un taux plus bas pour les directions, alors que les décisions opérationnelles y sont prises, y compris des mesures pour lutter contre le sexisme et le harcèlement, ou encore pour l’égalité salariale. Il ne manque pas de femmes compétentes, au contraire. Le problème c’est le système qui ne les voit pas, qui ne leur laisse pas la place. En particulier les hommes qui se cooptent entre eux. C’est pourquoi des quotas sont indispensables, pour ne pas devoir attendre un siècle avant d’obtenir l’égalité.»

A suivre Michaela Boloventa, la représentation paritaire doit s’imposer partout, à tous les niveaux. Aucune raison que les femmes soient minorisées alors qu’elles représentent la moitié de la population du pays. Mais pour les Collectifs de la grève féministe et des femmes les priorités sont résolument ailleurs: «La pandémie a montré quels postes de travail sont indispensable et quels postes ne le sont pas: dans le secteur de la santé par exemple, il serait urgent de diminuer le nombre de managers et autres gestionnaires pour renforcer les équipes qui œuvrent au lit des patient.e.s. Ecraser les hiérarchies, favoriser l’auto-organisation, permettre aux salarié.e.s de s’exprimer et de prendre des initiatives sur leurs lieux de travail.» Quant aux conseils d’administration, il faudrait plutôt «s’attaquer à limiter leur pouvoir. Car même teinté de rose, leur objectif restera le même: garantir les intérêts des actionnaires au détriment des salarié.e.s et sans égard ni pour les populations ni pour le climat», avance la syndicaliste.

Retour à la normale, le choc

La crise économique liée à la pandémie met en péril l’accès des femmes notamment au marché du travail avec des licenciements massifs. Les politiques d’austérité annoncées les fragiliseront aussi dans l’économie domestique. Lisa Mazzone relève que «la crise économique a tendance à précariser davantage encore les plus précarisé.e.s. C’est inquiétant. Une meilleure redistribution des richesses est plus essentielle que jamais. Or, que fait la majorité? Elle prévoit des pertes d’entrées fiscales en faisant des cadeaux fiscaux aux familles les plus riches. Autant d’argent qui manquera dans le service public, pour lutter contre la pauvreté.»

Michaela Bovolenta, elle, sonne l’alarme. Le retour à la normale se fait sur le dos des salariés et les femmes qui occupent les emplois les plus précaires et mal payées sont «touchées drastiquement». Elle rappelle que le Parlement a débloqué 60 milliards de francs pour l’économie privée. Ceci à l’exclusion du secteur de l’économie domestique, «où les femmes, en majorité migrantes, sont les plus nombreuses.»

La Coordination romande de la grève féministe a demandé  que les employées domestiques, puissent bénéficier de la même allocation perte de gain que les autres salarie-s et cela quelque soit leur statut. Pour le moment, ce n’est pas la voie choisie par la majorité bourgeoise de ce pays. Ainsi, par exemple, alors que le parlement a voté 2 milliards pour l’aviation, sans poser aucune condition ni environnementale ni sociale, il n’a octroyé que 65 millions aux structures d’accueil pour les enfants. En plus, cet argent public ne sera versé qu’aux crèches privées.  Un comble!»

Dans sa Prise de position et revendication pour une sortie féministe du Covid-19, la Coordination romande de la grève féministe demande ainsi un plan de même ampleur pour le secteur public. Sous pandémie, la classe politique a louangé ces travailleuses «qui ont tenu l’économie debout, de la vendeuse à l’infirmière en passant par la mère de famille. Celle-ci a télétravaillé tout en gardant ses enfants et en faisant les courses pour sa voisine âgée et à risques. Aujourd’hui, la classe politique revient à la politique “normale”, celle qui donne son blanc-seing aux intérêts de l’économie, des actionnaires, des 1 % de riches. Pour lutter là-contre, nous n’avons pas d’autres choix que d’organiser la résistance des 99% : de nouvelles mobilisations avec comme objectifs une convergence des luttes féministe, pour le climat, antiraciste, anticapitaliste. »

Et Lisa Mazzone de conclure: «Nous devons nous unir pour faire passer des progrès. Les femmes n’ont jamais été aussi nombreuses au Parlement, elles doivent prouver qu’elles peuvent changer les choses. Et si cela ne fonctionne pas, il faut poursuivre dans la rue et dans les urnes.» Ensemble, elles rejoignent la fameuse citation de Bertolt Brecht enfin conjuguée au féminin: «Celle qui combat peut perdre, mais celle qui ne combat pas a déjà perdu.»