Nawal El Saadawi, féministe égyptienne

La chronique féministe • Selon Nawal El Saadawi, «sans égalité, il n’y aura pas de véritable amour entre femmes et hommes, il n’y aura que le mariage; c’est pourquoi j’ai divorcé de trois maris. Il n’y a pas de véritable amour dans un monde construit sur le patriarcat, la règle de l’argent et la religion.»

Nawal el Saadawi en Suède en 2010.(Bengt Oberger)

Durant le confinement, j’ai fait partie de deux groupes: les auteur.e.s des Ed. des Sables, dont les textes vont paraître prochainement dans Grains de sable, témoignages du confinement, et celui des VDII (Vieilles Dames Indignes et Indignées). Ces échanges m’ont nourrie.

Récemment, par ce biais, j’ai reçu une citation-choc d’une féministe que je ne connaissais pas encore: Nawal El Saadawi, médecin et écrivaine égyptienne. Alors je me suis documentée. Nawal El Saadawi naît près du Caire le 27 octobre 1931. Son père est fonctionnaire au ministère de l’Éducation; sa mère est issue d’une famille bourgeoise. Celle-ci, musulmane traditionaliste, fait exciser sa fille à l’âge de 6 ans. Cependant, contrairement aux habitudes, les parents envoient à l’école leurs 9 enfants, y compris les filles. Nawal était une bonne élève, et en 1949, elle entre en faculté de médecine. Diplômée de l’Université du Caire en 1955, elle étudie ensuite à l’Université Columbia (New York).

Elle se marie avec Ahmed Helmi, étudiant en médecine et militant pour la liberté, dont elle divorce. Son second mari est un riche traditionaliste, avec lequel Nawal rompt lorsqu’il s’oppose au fait qu’elle écrive, une activité qu’elle exerce depuis l’enfance. En 1964, elle épouse Sherif Hatata, médecin et romancier, traducteur des livres de sa femme. Le couple a un fils, Atef.

De 1958 à 1972, elle est directrice générale de l’éducation à la santé publique, au ministère de la Santé. Elle est en même temps éditrice responsable du magazine Health et secrétaire générale auxiliaire de l’Association égyptienne de médecine.

En 1969, elle publie Al-imra’a wa-l-jins (traduit en français en 2017: La Femme et le sexe), qui traite de sexualité, de religion et du traumatisme de l’excision, autant de sujets tabous dans le pays, ce qui lui vaut d’être révoquée de son poste au ministère. Health est interdit et les livres de Nawal El Saadawi sont censurés. «Tout, dans ce pays, est dans les mains de l’État et sous son contrôle direct ou indirect», écrit-elle plus tard dans ses Mémoires d’une prison de femmes.

De 1973 à 1978, elle exerce son métier d’écrivaine à l’Institut supérieur de littérature et de science. Elle publie des essais, dont La Face cachée d’Ève (1977). Elle est chercheuse au Caire et travaille pour les Nations unies de 1978 à 1980, en tant que directrice du Centre africain de recherche et de formation pour les femmes en Éthiopie. En 1981, elle s’oppose à la loi du parti unique édictée par Anouar el-Sadate. Elle est arrêtée et emprisonnée en septembre 1981 dans la prison de femmes de Qanatir, pour infraction à la Loi de protection des valeurs contre le déshonneur. Durant les 3 mois de son incarcération, elle écrit les Mémoires de prison des femmes sur un rouleau de papier toilette, avec un crayon à sourcils introduit par une prisonnière. La prison lui est déjà familière, puisqu’elle y a mené, dans les années 70, des études auprès des détenues. Elle est libérée après la mort du président Sadate en octobre 1981.

En 1982, elle fonde l’Association arabe pour la solidarité des femmes, interdite en 1991. Après son roman La Chute de l’imam (1987), elle commence à recevoir des menaces de la part de groupes fondamentalistes. Lorsque son nom apparaît sur une liste de condamnés à mort, elle s’envole avec son mari pour les États-Unis, où elle enseigne à l’Université Duke et à l’Université d’État de Washington, à Seattle.

En 1996, elle revient en Égypte. Mémoires d’une prison de femmes est édité en 2002 à Londres, par les Presses féminines. Elle publie en janvier 2007 une pièce de théâtre en arabe intitulée Dieu démissionne de la réunion au sommet. Jugé blasphématoire par l’Uni-versité islamique du Caire, ce livre est retiré de la vente avant même l’ouverture du procès qui lui est intenté pour apostasie et non-respect des religions. Elle s’exile à nouveau. De nombreuses voix s’élèvent pour soutenir l’écrivaine, dont celle de Fadela Amara. Une pétition est lancée. En 2008, elle gagne son procès et retourne en Égypte, mais elle continue à enseigner aux États-Unis. Le 3 février 2011, elle apporte son soutien aux manifestant.e.s de la place Tahrir au Caire, pour le départ de Mohammed Hosni Moubarak.

Le 8 mars 2012, elle est à l’initiative, avec 7 autres femmes, de L’Appel des femmes arabes pour la dignité et l’égalité. Grâce à ses combats, l’excision des jeunes filles devient un crime punissable et les mères célibataires obtiennent le droit de transmettre leur nom de famille à leurs enfants.
Elle a publié une cinquantaine d’ouvrages, reçu de nombreuses distinctions, parmi les- quelles le prix du Conseil supérieur de littérature en 1974, le prix littéraire de l’amitié franco-arabe en 1982.

Selon Nawal El Saadawi, «sans égalité, il n’y aura pas de véritable amour entre femmes et hommes, il n’y aura que le mariage; c’est pourquoi j’ai divorcé de trois maris. Il n’y a pas de véritable amour dans un monde construit sur le patriarcat, la règle de l’argent et la religion.» Les façons de restreindre la liberté sont multiples: «Les femmes finissent par s’opprimer: beaucoup croient au mariage pour la vie et le subissent; d’autres pratiquent des mutilations génitales sur leurs filles ou, dans l’obéissance, se couvrent la tête. Nous devons comprendre l’oppression de la culture, de la politique, de la religion et de la maternité.»

Sur ce dernier point, l’écrivaine affirme: «Les femmes sont esclaves de la maternité. La maternité est une prison. Le père est libre, mais la mère ne l’est pas. Les femmes sacrifient leur vie et leur liberté pour leurs enfants. Nous devons être psychologiquement indépendantes de nos enfants. Les mères rendent leurs enfants dépendants d’elles, leur imposent leur autorité, reproduisent ce dont elles souffrent. Nous avons été élevées au rang de sacrifiées, le sacrifice pour la famille, pour les enfants, pour le pays. Mais ni le pays, ni le mari, ni les enfants ne se sacrifient pour les femmes. Nous devons éradiquer cette psychologie de l’esclavage», conclut la militante.

C’est cette dernière citation qui attira mon attention dans le courriel reçu, la notion de sacrifice, que toutes les mères connaissent. A cause du Covid, les Suisses vont privilégier les vacances en Suisse, notamment en camping. Les épouses, compagnes et mères devraient prendre du temps pour elles, et ne pas se sacrifier» pour les autres. Surtout après la période que nous venons de vivre, les femmes ont droit à un repos… bien mérité!