Témoignages de confinement

Livre • Un recueil de textes romands évoque ce temps singulier et inédit que nous avons vécu en ce printemps sous pandémie.

Comme elle l’avait fait pour Mai 68, que n’ont pas connu les jeunes générations, Huguette Junod, qui dirige les Editions des Sables, a voulu conserver la mémoire de cette période extraordinaire dans l’histoire de notre pays et du monde. Pour cela, elle a fait appel à «ses» écrivains (même si l’adjectif possessif nous paraît un peu… possessif) qui évoquent leur expérience, sous des formes différentes: poèmes, prose, et aussi un ensemble évocateur de photographies de Jean-Jacques Kissling.

Après une bonne introduction sur le Covid-19, ses effets médicaux, économiques et sociétaux, le livre propose une série de témoignages, un pour chacun des 87 jours du «confinement» (d’ailleurs relatif) à Genève, soit la période allant du 16 mars au 7 juin 2020. L’ensemble donne une bonne idée de ce que nous avons tous et toutes vécu. Nous laisserons ici de côté les considérations sur la valeur strictement littéraire de chacun des textes, pour ne considérer que le message qu’ils ont voulu délivrer. Telle auteure évoque la qualité du silence: on entend à nouveau les chants d’oiseaux. Telle autre a été marquée par le ciel sans zébrures d’avions. Comme le montrent aussi les photos, les rues sont désertes, «Belles et silencieuses / Mais comme après une grande catastrophe / Les gens masqués se promènent / Tels des ombres». Comme les guerres, les crises ont besoin de héros: là, ce sont les soignant.e.s, que l’on a applaudi..e.s depuis les balcons. Mais aussi les collaborateurs de la voirie, la police, le personnel de vente, et tous ceux qui font marcher la ville. Si chacun.e a vécu le confinement à sa manière, celui-ci a aussi été un événement collectif: «C’est rare qu’on pense tous à la même chose!» Les gens ont ainsi retrouvé un lien. Mais celui-ci a eu ses ombres: «Coronagraben, fossé, abysse / Entre sains et positifs / Romands et alémaniques». Les mesures fédérales, certes nécessaires, n’ont «pas laissé de place pour la surprise / Tout est contrôlé, quadrillé».

Faisons une place au poème d’un jeune de quatorze ans, La joie de l’enfermement, qui en relève un aspect positif, l’ennui: «Car c’est dans l’ennui que l’imagination se terre». D’autres évoquent l’espoir d’un monde nouveau «d’après Covid». Avec l’idéalisme de ses seize ans, une jeune fille écrit: «Pas de retour à l’anormal. Je ne suis pas très optimiste, mais je crois fermement en la nécessité absolue de ne pas revenir au modèle économique et politique que nous connaissions jusqu’ici, il en va de la survie de l’humanité et de la biodiversité. Plus que jamais, la solidarité est cruciale, il faut abolir les privilèges et inégalités, aider tout le monde sans distinction.»

L’amertume pointe aussi. Par exemple chez cette auteure qui déplore «les banales absences de nos proches qui deviennent des gouffres profonds». Ce résumé ne se veut pas exhaustif, tant les expériences personnelles du confinement ont été diverses…

L’éditrice a inclus le témoignage à la fois factuel et émouvant de René Magnenat, «Mon épopée au royaume du coronavirus», qui pré- sente le vécu d’une personne atteinte par le mal, dont elle a heureusement réchappé. Enfin Huguette Junod elle-même reprend dans ce volume son «Journal du confinement», que nos lecteurs et lectrices ont pu lire semaine après semaine dans Gauchebdo. Plus tard, bien plus tard, lorsque la pandémie aura été depuis longtemps jugulée et que chacun l’aura oubliée, ce livre conservera la mémoire d’une époque tout à fait particulière.

Huguette Junod et ses auteur-e-s, Grains de sable.Témoignages du confinement 16 mars – 7 juin 2020, Genève, Editions des Sables, 2020, 255 p.