Visages solidaires, promesses de luttes

Exposition • Croisant photographie documentaire et philosophie de terrain, une exposition mêle l’accueil des migrants, le passé et le présent de résistances et persécutions en Grèce.

Grotte près de Therma ayant permis aux exilés communistes de se cacher lors de la guerre civile (1946 - 1949), Ikaria, Grèce, avril 2018. (Philippe Bazin)

L’exposition que présente le Centre Genevois de la Photographie jusqu’au 18 octobre, «Un archipel de solidarités Grèce 2017- 2020», due au photographe Philippe Bazin et à la philosophe Christiane Vollaire, propose une série de portraits et plusieurs paysages résultant d’une «enquête de terrain» menée trois ans durant en Grèce. Un livre au même intitulé l’accompagne. Il comporte plusieurs cahiers photos (dont certaines sont sur les cimaises) et surtout développe une analyse historique et politique en profondeur de la situation de ce pays en prenant la question des migrants comme «révélateur» (Ed. Loco).

Terre des résistances historiques

On est ainsi conduit à retourner à la «Grande Catastrophe» de 1922 où la Turquie persécute et chasse les Grecs d’Asie mineure après l’expédition nationaliste de Vénizélos, au fascisme de Métaxas barrant la route à un possible Front populaire, à la Deuxième Guerre mondiale où l’Italie essaie d’envahir le pays et aux atrocités perpétrées par les troupes d’occupation nazie (villages brûlés, exécutions massives, pillages…), à la Résistance du peuple grec et sa libération par ses propres forces, à la guerre civile qui éclate ensuite en raison de l’intervention britannique résolue à évincer les résistants parvenus au pouvoir, à la persécution de la gauche (communiste au premier chef) et la déportation dans des îles-bagnes des opposants. Ces résistances successives et ces solidarités tissées dans les maquis, les geôles forment une sorte de «basse continue» voire d’ostinato aux résistances à la paupérisation imposée à la Grèce par les institutions européennes et aux solidarités nées envers les migrants fuyant des pays ravagés par les guerres et la misère.

À la répression d’État et aux barrières érigées sur les frontières du pays ont répondu, dans un pays pourtant appauvri et démuni, la mise en place de réseaux de soutien et d’assistance, un camp autogéré sur l’île de Lesbos, Pikpa, démontrant que le refoule- ment, la coercition et la violence policières ne sont pas les seules «réponses» à la déshérence de ces populations venues d’Afrique noire, de Syrie, d’Afghanistan ou d’Erythrée.

Portraits lors d’entretiens

Philippe Bazin a réalisé une galerie de portraits de ces hommes et femmes de différentes classes sociales et de différentes professions, durant les entretiens qu’avait avec eux Christiane Vollaire. Visages sereins, parfois étonnés ou indignés, affichant une tranquille détermination qui les illumine de l’intérieur.
Dignité de vieillard rescapé des camps de déportés sous les «Colonels», générosité d’institutrice, d’infirmière, candeur ou hésitation d’intellectuel, lucidité ici, révolte là, l’accrochage les fait dialoguer ou parfois s’affronter comme dans les débats toujours relancés qui agitent de tels collectifs.

Si l’éclatement géographique induit cette idée d’archipels qui donne son nom à l’exposition et au livre, leur rassemblement fait circuler entre eux l’énergie qu’ils mettent chacun là où ils sont et crée, sur ces murs qui les accueillent et dans le regard des visiteurs, une communauté.

Souffrances et paysages

Scandant les différentes séries de portraits, plusieurs paysages portent les traces des souffrances du passé et du présent: un «cimetière» de gilets de sauvetages orange sur une plage, le terrain aride où furent parqués des fugitifs, les vitrines auréolées d’impact de balles dans un quartier d’Athènes où la police a tiré sur les manifestants. Retenons l’un de ces paysages pour sa puissance esthétique et politique à la fois qui se rattache à la peinture de paysage, au «sublime» romantique en même temps qu’elle le subvertit.

La photographie est prise de l’intérieur d’une grotte, sur l’île d’Icaria, où se cachèrent durant la guerre civile des combattants communistes. Le cadrage est ainsi conçu que le contraste est saisissant entre l’encadrement sombre qui affleure en haut et s’étend en bas comme un chemin vers le dehors qu’obstruent de lourds rochers, et ce dehors, ce lointain qui s’étend au-delà de l’ouverture où se déploie le feuillage d’un vert presque gris d’un arbre sur un fond de roche blanche. La découpe de la roche, sur le haut de l’image, définit comme une chaîne de montagnes dans le fond blanc: l’intérieur et l’extérieur, d’abord aisément identifiables par le partage de l’ombre et de la lumière, échangent ainsi leurs places respectives dans une dialectique qui est celle du mouvement et de la réclusion car on est ramené en arrière au moment même où l’on croyait pouvoir bondir dehors. Mais aussi dialectique de l’action et de la concentration, du bond du tigre et de la retenue.