«Le climat ne peut attendre»

Suisse • Nobel de chimie 2017, homme de gauche et de conviction, Jacques Dubochet s’engage sans compter dans la lutte contre le réchauffement climatique aux côtés de jeunes.

«Je rêve que les autoroutes soient transformées en jardins», avoue l’infatigable biophysicien Jacques Dubochet. (Félix Imhof – UNIL)

Après les grandes mobilisations de 2019 et de janvier 2020, où en est le mouvement pro-climat?

Jacques Dubochet  Il a dû interrompre sa mobilisation du fait du Covid-19. Mais désormais toute la société essaie de se remettre en route et de repartir, même si cela reste compliqué du fait que la menace sanitaire est toujours présente. Après la grève du climat du 4 septembre, le mouvement fera entendre sa voix à l’occasion d’une semaine de mobilisation à Berne du 20 au 25 septembre. Pour ma part, j’ai participé récemment à une jolie manifestation au pied du gla- cier du Trient (VS), conduite par l’Alliance climatique suisse et d’autres organisations comme l’initia- tive pour les glaciers (visant à zéro émission de gaz à effet de serre nette d’ici 2050, ndlr), qui ont rappelé que plus de 500 glaciers avaient disparu en Suisse ces dernières années. En tant que vieux, on se sent un peu gêné de léguer une si triste situation, alors qu’on se trouve au milieu de plein de jeunes.

La journée du 4 septembre a été moins suivie. Faut-il débrayer le samedi plutôt que le vendredi, jour d’école?

Bien sûr, il faudrait faire moins de bruit et surtout ne pas déranger. Cet argument, je ne le partage pas et je m’étonne d’une telle question.

Le parlement va rediscuter de la loi sur le CO2 dès le 10 septembre. Est-ce qu’elle vous satisfait? Que devrait-on revoir?

La Loi sur le CO2 a été nettement améliorée, du fait que l’objectif de neutralité carbone de la Suisse en 2050, mais elle reste insuffisante. Il faudrait réduire chaque année nos émissions de 6%. Or, nous n’en sommes pas sur la voie, car la consommation d’énergie fossile augmente. Renoncer à réduire drastiquement ces émissions, c’est foutre en l’air l’avenir des jeunes. Nous n’avons plus de temps, il faut agir maintenant.

L’Etat suisse n’en fait donc pas assez?

Face à la crise du Covid-19, il s’est bougé et a mis sur la table près de 70 milliards de francs dans l’urgence. Dès qu’il s’agit de la protection du climat, on économise. Face à la menace climatique, il faut pourtant changer de calibre, se donner des moyens. J’ai l’impression que les partis, même à gauche, n’ont pas encore compris les risques de la situation pour la vie sur terre.

Au Trient, vous avez expliqué qu’il fallait renoncer au plus vite aux énergies fossiles, quelles sont les pistes alternatives que vous et les jeunes mettez en avant pour sortir de cette impasse climatique?

Les jeunes pour le climat ou la grève climatique ont un programme qu’il suffit de lire. Il ouvre des perspectives pour l’avenir de la planète. Le projet vise à la neutralité carbone d’ici 2030. Il soutient aussi une justice climatique afin que les personnes matérielle- ment, financièrement ou socialement défavorisées ne soient pas davantage accablées par la crise ou par les mesures prises contre celle-ci. Pour chaque secteur économique, il articule des propositions alternatives. Dans le secteur de l’agriculture, il revendique une souveraineté alimentaire et le développement d’une production locale sans recours aux combustibles fossiles et sans pesticides.

Et pour la mobilité?

Dans ce cas, le mouvement promeut une mobilité douce ou la gratuité des transports publics. Pour ma part, je
suis pour les transports collectifs. Le temps de la voiture individuelle ou de l’achat de gros 4×4, c’est fini. Aujour- d’hui, les CFF proposent de combiner un abonnement de transports publics et la voiture électrique de son choix. C’est la voie qu’il faut suivre. Je rêve que les autoroutes soient transformées en jardins. La loi d’accroissement des températures est directement liée à l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère et elle est exponentielle. A ce rythme, l’anomalie de température double tous les 30 ans. Il faut donc arrêter drastique- ment la consommation des énergies fossiles. On n’a plus le temps. Il faut sortir de cette société du tout profit.

Des actions ont été menées pour interdire les investissements des grandes banques, assurances ou caisses de pension dans les énergies fossiles. Ce revirement est-il possible?

C’est nécessaire, comme on l’expliquera à nouveau le 22 septembre à l’occasion du procès en appel des acti- vistes climatiques qui ont joué au tennis dans une filiale de Crédit Suisse à Lausanne. Cela fait partie des revendications des jeunes et elles commencent à porter leurs fruits. Des réflexions sur le sujet sont menées dans les grandes entreprises suite aux actions de mobilisation.

Des changements majeurs en matière de politique climatique peuvent-ils venir du parlement? En fait-il assez sur le sujet?

Ce parlement est notre parlement et il fait partie des moyens pour trouver la solution, mais il faut le secouer pour qu’il avance. Ce n’est pas un petit groupe de gauchistes qui peut changer la situation dans notre système démocratique. Il est l’heure de gérer l’urgence comme on l’a fait avec le Covid-19 dès le 16 mars. On a quelques années pour décider de changements structurels pour préserver le climat.

Et le gouvernement?

Il faut que le Conseil fédéral fasse son coming-out climatique. A l’occasion de la crise sanitaire, l’Union européenne a bien montré que cela était possible. En laissant de côté son orthodoxie budgétaire et en mutualisant la dette européenne, elle a reconnu l’utilité de faire des dettes pour le bien commun. Il est l’heure de s’endetter pour sortir du problème clima- tique. Durant la seconde guerre mondiale, les grandes industries étasuniennes ont travaillé de concert pour l’effort de guerre, en mettant toutes leurs capacités pour vaincre l’ennemi nazi. Au sortir du conflit, elles se sont contentées d’un dédommagement symbolique de la part du gouvernement pour cette collaboration. Voilà ce qu’il faut faire. A cet égard, je saluerai le Plan climat lancé par le Canton de Vaud, visant la neutralité carbone territoriale d’ici à 2050 et doté de 1,3 milliard de francs pour sa réalisation. Bien souvent, l’urgence climatique est approuvée, mais sans aucune ligne au budget pour la réaliser.

Certains écologistes, comme l’ingénieur français Bruno Comby, prétendent qu’il faut investir massivement dans l’énergie nucléaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quelle est votre position sur le sujet?

En tant que vieux militant anti-nucléaire, je suis contre. Dans le monde, on compte actuellement 500 centrales, qui produisent moins de 5% de l’électricité consommée. Si l’on voulait combler les émissions par un programme nucléaire, il faudra en construire au moins 10 fois plus. Courage! Autour des grandes mégapoles du Sud comme Karachi ou Lagos, il faudrait aussi en installer une jolie ribambelle. Je vous laisse imaginer la suite!

Le Conseil fédéral veut proposer un contre-projet à l’initiative sur les glaciers, qui vise à réduire les émissions nettes à zéro d’ici à 2050, à ancrer les objectifs de l’accord de Paris sur le climat dans la Constitution. Votre avis?

Contrairement à l’initiative, le contre-projet ne stipule pas l’interdiction de carburant ou de combustibles fossiles à partir de 2050. Je reste donc en faveur de l’initiative. Si les débats au parlement ne vont pas dans le sens d’une amélioration de la protection du climat, je suis convaincu que beaucoup de gens seront mécontents et voudront aller plus loin.