Tenues vestimentaires

La chronique féministe • En ce moment, on parle beaucoup de tenues vestimentaires des femmes.

En ce moment, on parle beaucoup de tenues vestimentaires. Il y a eu cette jeune femme au décolleté plongeant à qui l’on a interdit l’entrée du Musée d’Orsay qui, soit dit en passant, donne à voir au public le célébrissime tableau L’Origine du monde et une foultitude de femmes dénudées. Il y a eu des agressions dans la rue, comme cette étudiante de Strasbourg, qui a été insultée et frappée au visage parce qu’elle portait une jupe, le 18 septembre. Ou ces deux femmes agressées, mercredi 23 septembre à Mulhouse, en plein jour, pour la simple raison qu’elles portaient des jupes jugées «trop courtes» aux yeux de leur agresseur.
Ces faits divers montrent que les femmes continuent de subir une vision sexiste de la société. Celle-ci considère que les femmes doivent répondre à certaines normes vestimentaires, pour ne pas provoquer le désir des hommes qui, les pauvres, seraient incapables de résister à leurs pulsions.
C’est ce qu’on appelle «la culture du viol». Il s’agit d’un concept sociologique concernant un ensemble de comportements et d’attitudes partagés au sein d’une société donnée qui minimiseraient, normaliseraient, voire encourageraient le viol. Dans sa forme la plus polarisée, la culture du viol se fonderait sur l’idée que les femmes sont la propriété des hommes. Qui leur refusent tout respect, ainsi que le droit de contrôle et de maîtrise de leur propre corps.
Dans les années 70, la plupart des Américains supposaient que le viol, l’inceste et les violences conjugales constituaient des faits rares. Or la professeure de psychologie canadienne Alexandra Rutherford démontra que le viol était un fait habituel et qu’il était l’une des manifestations extrêmes du sexisme et de la misogynie normalisée dans la société. Le viol est alors redéfini comme un crime lié à la violence, plutôt que relevant du sexuel. Il ne serait pas la recherche du plaisir sexuel, mais la volonté de domination. On considéra le viol du point de vue de la victime et non plus de l’agresseur.

Dès 1971, Susan Griffin affirme, dans Rape: The All-American Crime, se fondant sur le fait que le viol est absent de certaines cultures, «loin de croire que le contrôle du viol est appris, les comparaisons avec d’autres cultures nous amènent à soupçonner que, dans notre société, c’est le viol lui- même qui est appris… Le viol n’est pas un acte isolé qui peut être éradiqué du patriarcat sans en terminer avec le patriarcat lui-même».
Ainsi donc, les tenues vestimentaires des femmes seraient décrétées décentes ou indécentes par une société phallocrate dont les hommes, consciemment ou non, pensent que les femmes leur appartiennent. Dans une société égalitaire – on en est loin! – les femmes et les hommes pourraient s’habiller comme elles ou ils le désirent. En aucun cas, la tenue d’une femme (décolleté, jupe courte, short, dos nu ou autre) ne peut excuser les insultes ou les violences sexuelles qu’un homme pourrait lui faire subir. Il faut l’affirmer avec force.
Cela posé, on ne peut pas ignorer le lieu et le cadre où l’on se situe. Il est évident qu’on ne peut pas se vêtir au travail comme à la plage, surtout quand on a affaire au public. Ce qui ne concerne d’ailleurs pas seulement les femmes: la tenue vestimentaire des hommes exigée par un grand nombre d’entreprises, notamment les banques, est le complet et la cravate.

Pour les femmes, on attend une tenue correcte, même si elles ont davantage de choix que les hommes: pantalon ou robe et jupe au moins jusqu’aux genoux, haut à manches. Liliane Maury Pasquier fut rappelée à l’ordre par le président du Conseil des États, mi-septembre 2016, parce qu’elle portait une robe sans manches. Raphaël Comte (juriste PLR, pdt. du Conseil des États jusqu’en déc. 2016 et dont il n’est plus membre depuis déc. 2019, ndlr) s’en était également pris à deux députés pour avoir tombé le veston. Porter une tenue convenable» implique de ne pas dévoiler ses épaules, ce que stipule le règlement vestimentaire qui concerne les élus sous la coupole à Berne. On peut naturellement discuter la notion de «tenue convenable». Mais dans ce cas, le président pouvait se référer à un règlement.
En ce qui concerne les élèves, il me semble que l’on mélange tout. Il s’agit, ici aussi, de poser la question du cadre. L’école n’est pas la plage. Il est normal, cohérent, pédagogique de le faire comprendre aux élèves.
Les shorts qui laissent apparaître les fesses (pour les filles comme pour les garçons), les décolletés, les dos nus, les nombrils à l’air (du côté des filles), les jeans dévoilant la moitié du slip ou le training (surtout chez les garçons) n’ont rien à faire à l’école. Lorsque j’enseignais, je n’aurais pas accepté une telle tenue. Et je me souviens avoir bataillé pendant des années contre le port de la casquette par les garçons. Je leur expliquais que lorsqu’ils brigueraient un poste de travail, ils ne feraient pas bonne impression s’ils en portaient une. L’école a également pour mission de préparer les élèves à leur future vie citoyenne, professionnelle, sociale.

Une polémique a récemment éclaté à propos des mesures prises par le CO de Pinchat (GE). Le premier mardi de la rentrée scolaire, une dizaine de filles ont dû porter un t-shirt XXL avec l’inscription «J’ai une tenue adéquate», pour cacher un nombril, des épaules ou un dos nu. On a parlé de «t-shirt de la honte, le comparant même à l’étoile jaune que les nazis faisaient porter aux juifs! Or cette mesure, certes malheureusement stigmatisante, a été prise en collaboration avec la direction du CO, des enseignant.e.s, des élèves et des représentant.e.s des parents. Ces derniers ne voulaient pas que leurs enfants soient renvoyés de l’école pour se changer. Il semble que cette pratique soit généralisée dans les différents cycles et les établissements privés. Ce n’est pas parce que certaines tenues «déconcentrent les garçons» mais parce que la loi sur l’instruction publique stipule que les élèves portent une tenue vestimentaire correcte et adaptée au cadre scolaire. Peut- être faudrait-il introduire l’uniforme, ce qui du coup réglerait le problème des inégalités liées au coût des marques?
On dirait que les représentant.e.s de la société n’osent plus prononcer les mots «discipline», «cadre», «ordre» (et encore moins les exiger, quelle horreur!). Or il s’agit d’apprendre à vivre ensemble en société selon des règles. Ce qui est au moins aussi important que les branches enseignées. Et cela n’a rien à voir avec «la culture du viol»