Les seins à nu

La chronique féministe • Douloureuse, embarrassante, parfois trop volumineuse, encore mal protégée, la poitrine fait partie des facteurs influant directement sur la performance des sportives de haut niveau

«Les seins à nu» est le titre d’un long article paru samedi 3 octobre dans le supplément de L’Equipe. Un sujet rarement, voire jamais abordé. Douloureuse, embarrassante, parfois trop volumineuse, encore mal protégée, la poitrine fait partie des facteurs influant directement sur la performance des sportives de haut niveau.
On a de la peine à croire ces chiffres: les seins peuvent atteindre 72 km à l’heure en une seconde, rebondir de 21 cm vers le haut, dont le poids est alors multiplié par 5; ils sautent 5000 fois en 30 minutes de course à pied.

Naturellement, ils jouent un rôle dans les performances des femmes. Sans surprise, comme il s’agit d’un problème spécifiquement féminin, il existe très peu d’études sur le sujet. Et si les hommes disposent d’une coquille pour protéger leur appareil génital, on n’a pas encore trouvé de solution pour protéger efficacement la poitrine des femmes. En attendant, elles portent des brassières, que les équipementiers cherchent à améliorer en collaboration avec les athlètes. Le soutien- gorge de sport n’a été inventé qu’en 1977, cent ans après son pendant masculin, le suspensoir. Sans commentaire.

Des chercheurs australiens estiment que la taille des seins devrait être reconnue comme obstacle potentiel à l’activité physique. Aujourd’hui, 1 femme sur 5 délaisse le sport à cause de sa poitrine. En 2010, la joueuse de tennis roumaine Simona Halep opte pour une réduction mammaire et en 2017, elle devient numéro 1 à la WTA. Une exception dans le monde sportif: Serena Williams et son 100 E, ce qui signifie que chaque sein pèse 900 g. Elle accepte son physique généreux et les regards qu’on pose sur lui. Ce qui ne l’a pas empêchée de devenir n°1, d’engranger 39 titres de Grand Chelem, dont 14 en double avec sa sœur Venus et, lors de l’US Open 2016, d’obtenir sa 308e victoire de Grand Chelem en simple, le meilleur résultat de l’histoire, hommes et femmes confondues: Martina Navrátilová comptant 306 victoires et Roger Federer 307.

Certains sports sont particulièrement à risque: l’escrime, le football, notamment pour les amortis. «On nous apprend à faire un contrôle comme on l’apprend aux garçons», raconte l’ex-internationale Jessica Houara. «Aucun coach ne m’a dit: “Fais comme ça pour protéger ta poitrine.”» Cependant, les hématomes mammaires sont très rares et les chocs ne provoquent pas de pathologie chez les sportives, contrairement aux rumeurs. Les médecins ont diabolisé le sport féminin pendant des années. Rappel: jusqu’en 1984, on inter- disait aux femmes de courir le marathon, prétextant qu’elles pourraient perdre leur utérus!

Au contraire, une activité physique régulière réduit le risque de cancer du sein de manière très significative: dès 2h30 par semaine, c’est 30% de risque en moins.

Les seins ne sont pas les amis de la performance. L’ancienne judoka Ronda Rousey a observé, en combattant à des poids différents, que plus elle avait de poitrine, plus c’était un handicap. Selon elle, ce n’est pas un hasard si l’on ne voit pas de gros seins aux Jeux Olympiques.
Une expérience a été tentée avec des hommes. On a collé des prothèses d’un kilo à des runners, qui ont couru 12% plus lentement et se sont plaints d’avoir eu mal au dos, aux épaules, aux genoux… Cela me rappelle une autre expérience.

En 2015, trois pères britanniques ont porté pendant un mois un faux ventre de 15 kg, pour simuler une grossesse au 9e mois. Poitrine lourde, envie d’uriner fréquente, difficultés à bouger et à se déplacer… Rien ne leur a été épargné. Au bout de 3 jours, Jason Bramley n’a pas dormi du tout, à cause du volume de son ventre, et il s’interroge, perplexe: «Pourquoi les femmes enceintes ne se déplacent pas en fauteuil roulant?». Jonny Biggins, lui, a investi dans une ceinture de grossesse pour soutenir son gros ventre, qui l’empêchait de marcher. Et Steve Hanson ne cesse de se plaindre de sa poitrine qui l’incommode… Conclusion: les trois papas sont unanimes: «Nous devons un immense respect à toutes les femmes enceintes.» Et encore, ils n’ont ressenti qu’une infime partie des sensations liées à la grossesse!
L’angoisse de certaines sportives est que le maillot ou le costume glisse et laisse appa- raître les tétons, ce qui arriva à Gabriella Papadakis en 2018 pendant le programme court de patinage artistique en couple des JO de PyeongChang, ou à la coureuse de 5000 mètres Nebiat Habtemariam lors des Mondiaux 1997 à Athènes. Elle avait 18 ans et est restée cloîtrée dans sa chambre le reste de la semaine. Si l’on tape son nom sur Internet, ce sont les premières images qui apparaissent. Un problème que ne connaissent naturellement pas les hommes.

En outre, les femmes ont 20 à 25% de tissu adipeux (masse grasse) contre seulement 10 à 15% pour les hommes. Dès l’adolescence, les femmes commencent à sécréter une grande quantité d’œstrogènes, qui va faciliter le stockage des graisses en vue de la grossesse. Pour que le bébé puisse se développer normalement, il va puiser dans les réserves de sa mère au niveau du bassin et des cuisses. Voilà pourquoi les femmes sont prédisposées à stocker la graisse à ces endroits-là. Les hommes, eux, ont tendance à prendre du poids au niveau du haut du corps (ventre, poitrine, abdomen), ce qui constitue un facteur de risque important dans le développement des maladies cardio-vasculaires.

Lors des championnats, femmes et hommes concourent dans des épreuves séparées pour la plupart des disciplines. Chaque sexe a son propre classement, ses propres champions et ses propres records. A épreuves égales, les femmes accomplissent généralement des exploits à 90% de ceux des hommes. Au lancer du poids, par exemple, le record du monde masculin est établi à 23,12 mètres, contre 22,63 mètres pour le record féminin. Sur les 100 mètres de sprint, Usain Bolt détient le record avec 9 secondes 58 centièmes. Chez les femmes, le record est à 10 secondes 49centièmes.  Mais en équitation, seule discipline totalement mixte des JO, la différence de résultats entre les sexes est minime. Il faut dire que pour réussir au dressage ou au saut d’obstacles, c’est surtout l’harmonie entre le cheval et son cavalier.sa cavalière qui fait la différence.

Entre leur poitrine, leurs règles, gênantes et parfois douloureuses, la différence de graisse, le muscle cardiaque 30% plus petit, un volume d’oxygène moins élevé, les femmes partent sacrément handicapées dans le sport…