Les origines du Terrorisme russe

Livre • De la révolte contre les pères oppresseurs à l’assassinat d’Alexandre II, l’historienne Héléna Volet raconte les étapes qui ont mené au Terrorisme russe.

Affiche "La Terroriste", Varsovie 1909, auteur inconnu. (DR)

Héléna Volet est née à Prague. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars soviétiques en 1968, elle s’est réfugiée en Suisse, où elle a accompli des études universitaires qui l’ont conduite au doctorat. Son champ de recherche englobe l’histoire des femmes, ainsi que celle de la Russie et de l’Empire austro-hongrois.

Dans son dernier livre, De la Crinoline au Terrorisme, elle relate de manière vivante l’«itinéraire tragique de jeunes aristocrates russes». De par son enseignement gymnasial, l’auteure a gardé un esprit didactique, dans le meilleur sens du terme. C’est dire que son livre se lit facilement et que les diverses notions abordées sont dûment explicitées, de même que la signification exacte des termes russes. La partie de l’ouvrage la plus intéressante est à nos yeux la première, où Héléna Volet dégage avec clarté les différentes étapes qui ont mené à l’action terroriste.

Résumons-les brièvement. Au départ, il y a la révolte de jeunes filles nobles contre l’autorité paternelle, le plus souvent despotique, voire brutale. Sachant que le tsar autocrate était considéré comme «le petit Père» de son peuple, il y a un pas qu’elles franchiront bientôt. Ce besoin d’émancipation initial les mène à conclure des mariages blancs où règne la «chasteté révolutionnaire», et à se rendre à Zurich où la Faculté de médecine est ouverte aux femmes. Elles sont inspirées par le célèbre roman Que faire? de Tchernychevski. Cet écrivain deviendra le maître à penser des futurs terroristes.

Catéchisme révolutionnaire

La deuxième étape est celle des Nihilistes et des Narodniki, les Populistes (au sens russe du terme!) Comment venir en aide aux ouvriers et aux paysans? Pour cela, il faut «aller au peuple» …un peuple russe que ces jeunes aristocrates, hommes et femmes, idéalisent et dont ils ignorent complètement la vie réelle, faite de labeur écrasant, d’alcoolisme, d’analphabétisme et de superstitions religieuses.

D’autres projets utopistes apparaissent. Or toutes ces tentatives, encore pacifiques, sont réprimées par le régime tsariste. Les procès se succèdent, notamment le Procès des 50 ou Procès des Femmes de Moscou, en 1877, qui aboutit à des condamnations aux travaux forcés en Sibérie. Ces femmes apparaissent comme les premières «martyres» …mais au fond d’elles-mêmes ne visent-elles pas au martyre pour la Cause?

La première organisation révolutionnaire s’intitule Terre et Liberté (Zemlia i Volia). Mais c’est surtout un texte incendiaire qui va servir de base idéologique aux terroristes, le fameux Catéchisme révolutionnaire de Netchaïev, dont la devise est: «Notre but est la destruction terrible, totale, générale et impitoyable». Pour lui, il faut, dans un premier temps, liquider toute la famille impériale et tout l’appareil gouvernemental. Dès lors, le but prioritaire est fixé: assassiner le tsar Alexandre II.

Les futurs terroristes sont des mystiques, prêts à sacrifier leur vie pour «sauver le peuple», comme l’étaient de nombreux premiers chrétiens recherchant la mort en martyrs pour témoigner de leur Foi. Puis Héléna Volet brosse une série de portraits de ces femmes révolutionnaires, dont quelques noms sortent du lot: ceux des Soeurs Figner, celui de Véra Zassoulitch, auteure du premier attentat terroriste, le 24 janvier 1878, contre le général Trépov. Et surtout celui de Sophie Perovskaïa. Cette dernière, qui appartient à la plus haute noblesse de l’Empire, finira sur l’échafaud, suite à l’assassinat du tsar, qu’elle a largement contribué à organiser.

Un véritable thriller

La partie suivante du livre, qui se lit comme un véritable thriller, est consacrée à la traque d’Alexandre II. Cette option du régicide part d’une illusion, celle que la mort du tsar changera le sort des masses russes: «L’autocratie craquera sous les coups de la terreur systémique», écrit Jéliabov, le leader du groupe terroriste La Volonté du Peuple (Narodnaïa Volia). Or un tsar mort est tout simplement remplacé par un autre. Au tsar réformateur Alexandre II (il a aboli le servage en 1861) succédera le despotique et antisémite Alexandre III, que ses propres ministres appelaient en catimini «l’imbécile couronné»…

Après plusieurs tentatives d’assassinat à la bombe (l’arme préférée des terroristes), Alexandre II finit par être tué le 1er mars 1881. S’ensuivra le procès et l’exécution par pendaison des tsaricides, le 3 avril, devant une foule de 100’000 personnes. Une corde est laissée en réserve pour Jessy Helfman. Enceinte, elle ne peut pas être exécutée. Après l’accouchement, on lui arrache son bébé qu’elle ne reverra plus, et elle-même, graciée par le tsar, mourra peu après en prison. L’auteure évoque aussi le terrible sort des condamnées au bagne sibérien, qui générera même un suicide collectif de protestation contre des châtiments corporels.

D’autres attentats auront encore lieu au début du XXe siècle. Ils aboutiront certes aux assassinats du ministre de l’Intérieur von Plehve et du grand-duc Serge, frère du tsar Alexandre III, mais ne changeront en rien le régime autocratique russe. Héléna Volet le dit fort bien. Nous ne suivons en revanche pas l’auteure sur deux points. D’abord lorsqu’elle fait de Lénine un disciple de Netchaïev. Or Vladimir Ilitch, pourtant très marqué par la pendaison de son frère Alexandre, a vite compris l’inutilité totale des attentats terroristes.

Enfin, faut-il voir dans cette vague d’attentats meurtriers les prémisses des crimes de masse commis par Lénine et surtout Staline, comme l’avance l’auteure? On pourrait tout aussi bien affirmer que les massacres ordonnés par Ivan le Terrible ou par Pierre le Grand après la révolte des streltsy (corps d’armée russe) en 1698 ont autant, sinon davantage, servi d’exemples, dans une longue histoire russe marquée par les cruautés…