Coca, calories et diabètes par milliers

Mexique • «Le poison en bouteille», ainsi est désigné le soda le plus vendu au monde par le vice-ministre de la prévention et promotion de la Santé, Hugo López-Gatell Ramírez, récemment en visite au Chiapas.

Il faut dire que si ce pays en est le plus gros consommateur par habitant au monde, devant les Etats-Unis, le Chiapas détient un triste record. Chaque habitant boit en moyenne 2.2 litres de boissons gazeuses par jour (dont le marché est largement dominé par Coca), Soit l’équivalent de 200 grammes de sucre ou 800 calories. Franchement incroyable et pourtant affirmée par une étude du Centre d’Investigations Multidisciplinaires sur la frontière sud et le Chiapas (CIMSUR) parue en 2019 et reprise par le Ministère de la Santé mexicain. Rappelons que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a revu à la baisse ses préconisations sur le sucre. Il doit constituer, selon ses conseils, 5% des apports énergétiques quotidiens, c’est-à-dire l’équivalent de 25 grammes par jour. On mesure le décalage.

Diabète, adiposité et dénutrition

Et les conséquences sont évidentes: le Sud du Mexique a aussi la palme de diabète de type 2 du pays. Selon des données officielles, 30% des mineurs sont en surpoids, dont un tiers présente une obésité morbide, et 70% des adultes. C’est d’autant plus paradoxal qu’un enfant mexicain sur huit de moins de cinq ans présente une dénutrition chronique et que cette proportion est plus élevée dans les Etats du sud dont le Chiapas, principalement au sein des communautés indigènes rurales.

C’est donc un problème de santé publique. Il explique aussi probablement pourquoi le Mexique est l’un des pays où la mortalité due à la Covid-19 est la plus élevée chez les jeunes. On sait ainsi que le surpoids, l’hypertension et le diabète sont des facteurs de risques majeurs. C’est tout du moins la thèse évoquée par l’épidémiologiste et vice-ministre de la Santé.

Comment expliquer cette consommation excessive de boissons gazeuses? Les observateurs évoquent plusieurs hypothèses. L’étude du CIMSUR cite parmi les raisons pour lesquelles le Coca-Cola et d’autres refrescos sont si populaires au Chiapas, des campagnes de marketing en langues autochtones – principalement maya – et un accès limité à l’eau potable. Ainsi, certains quartiers de San Cristóbal de las Casas, le centre régional de Los Altos, ont de l’eau courante quelques fois par semaine, obligeant de nombreux ménages à acheter de l’eau supplémentaire à des camions-citernes, à un prix au litre pouvant dépasser celui des boissons gazeuses. Or, il faut savoir que cette ville abrite la plus grande fabrique de Coca-Cola d’Amérique Centrale, qui mobilise 1.3 million de litre d’eau par jour que les habitants n’ont pas. Par ailleurs, il est évident que les boissons gazeuses se retrouvent partout, même dans les endroits reculés. Elles sont même plus faciles à trouver que les tortillas, pourtant aliment régional de base.

Il s’agit d’un problème de santé essentiel à aborder si l’on s’occupe de promotion ou de prévention sanitaire. Et les déclarations du vice-ministre de la Santé sont venues renforcer ce travail réalisé par de nombreux acteurs locaux, dont l’ONG Madre Tierra México (MTM)(1), soutenue par la Fédération Genevoise de Coopération (FGC). Ces boissons sont évidemment bannies lors des formations des promoteurs santé, et dans les programmes du bien-vivre. Une promotion sur le bien-manger est enseignée. Ceci en aidant les communautés à retrouver ou revaloriser des habitudes ancestrales et en soutenant une agriculture respectueuse de la nature.

Coca, c’est pas Papa Noël

Mais c’est aussi important de dénoncer l’entreprise qui distribue «le poison en bouteille». De fait, cet automne, quinze mouvements sociaux locaux, allant des écologistes jusqu’aux défenseurs des droits humains, y compris MTM, ont adressé un rapport aux députés régionaux demandant la révocation de la concession d’extraction de l’eau de Coca-Cola à San Cristóbal. Or, nous sommes dans l’Etat du Chiapas, où les polarisations sociales sont très fortes et où, malgré un pouvoir central plutôt progressiste et populaire, le pouvoir régional reste hélas trop souvent l’allié des riches. Ainsi depuis une manifestation publique, pourtant pacifique et symbolique, devant l’usine Coca-Cola, l’ONG en question est surveillée, En témoignent des drones survolant son centre de formation ou d’incessants contrôles pénibles des véhicules et de leurs passagers lors des nombreux barrages policiers qui longent les routes menant aux différentes communautés. C’est pour l’heure une pression psychologique. Mais elle est réelle dans la vie quotidienne.Toute cette histoire rappelle furieusement les années 70, et la campagne «Nestlé kills babies». Quand le marketing agressif de la multinationale tentait de vendre son lait en poudre. Cela en contradiction avec les efforts de promotion de l’allaitement maternel exclusif défendu par l’OMS.

1 www.madretierramexico.org/