Histoire et évolution des associations

Histoire • La Revue historique vaudoise consacre son dernier numéro au fait associatif, si important dans le canton de Vaud mais également partout en Suisse.

Drapeau des Amis Gymnastes d’Yverdon. (Musée d’Yverdon / Naomi Wenger)

Selon Jacques Chessex, «les Vaudois aiment les sociétés à la folie. Fondateurs d’églises! Amicales, chorales, clubs, associations, ils en inventent, ils en redemandent, ils en entretiennent par centaines» Or peu d’historiens se sont penchés sur leur histoire. Heureusement que beaucoup d’associations ont déposé leurs archives dans les institutions publiques. C’est donc au fait associatif, si important dans ce canton mais aussi partout en Suisse, qu’est consacré le volume 2020 de la Revue historique vaudoise. Notre pays compte en effet entre 80’000 et 100’000 associations! Celles-ci sont d’une extrême diversité, allant des yodleurs au Cercle italien en passant par les sociétés de carabiniers. Le bénévolat est la pierre angulaire de la grande majorité d’entre elles.

Une première contribution se penche sur l’histoire du droit d’association de l’Ancien Régime au Code civil de 1907. On y voit notamment que les associations d’étudiants, d’officiers, de chanteurs ou de gymnastes ont été, dès 1815, contre les idées conservatrices, les vecteurs d’une nouvelle conception, plus centralisatrice et progressiste, de la Suisse.
Puis le volume s’intéresse à la Société cantonale de gymnastique, née en 1858. C’est l’une des plus importantes du canton. Ses fêtes cantonales et fédérales s’érigent en tribune du courant radical du XIXe siècle. Mais la pratique de la gymnastique a connu une profonde évolution. De la «gymnastique masculine et rigide», où sévissait le garde-à-vous, où les moniteurs étaient un peu des caporaux, et dont la finalité était le maintien en bonne forme physique du soldat, on est passé à une conception beaucoup plus ludique. Les sociétés de gymnastique féminines, aujourd’hui mixtes, y ont beaucoup contribué, notamment en introduisant des disciplines nouvelles, telles que le trampoline ou les anneaux balançants.

A travers un personnage qui fut un pilier du radicalisme vaudois, Adrien Thélin (1842-1922), finalement conseiller d’Etat, une autre étude se penche sur la Société suisse des carabiniers, créée en 1824. On sait que le tir a joué un rôle très important dans l’unité confédérale au XIXe siècle. Mais quelle place occupent donc les femmes dans les abbayes vaudoises, ces sociétés de tir qui existent depuis le XIVe siècle ? Certes, elles ont longtemps participé aux rituels, en donnant sa médaille au vainqueur du concours, avec un doux baiser… La question s’est longtemps posée d’accepter ou non les femmes comme membres à part entière. On a pu craindre qu’une femme particulièrement douée dans ce sport ne soit couronnée reine du tir! Mais les choses ont heureusement changé. En 2002, une femme est devenue la première présidente d’une abbaye vaudoise. Et aujourd’hui, les femmes sont nombreuses à s’adonner au tir.

La contribution suivante s’intéresse au patrimoine mobilier des sociétés locales yverdonnoises. Celui-ci est notamment constitué de bannières, dont l’auteure explique la symbolique, souvent patriotique, en illustrant son propos par plusieurs photographies. Mais ce patrimoine ne se borne pas aux drapeaux. On y trouve aussi des coupes, médailles (aujourd’hui pins) et bien d’autres objets.

Les sociétés de jeunesse campagnarde comme barrière contre le «bolchevisme»

C’est en effet dans cet esprit de résistance aux progrès du socialisme qu’a été créée en 1919 la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes, sous l’égide du Parti radical-démocratique. Cependant, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, celle-ci a profondément évolué. Face à l’industrialisation de l’agriculture et à la disparition de nombreux domaines agricoles, ainsi qu’à l’expansion démographique de populations urbaines dans les campagnes et à la dislocation des sociabilités villageoises, la FVJC a dû se réinventer. Elle est devenue une grande amicale, s’attachant par ailleurs à perpétuer une «tradition» rurale largement mythique. Les chiffres attestent le succès actuel des jeunesses campagnardes. Sa dernière Fête cantonale, en 2019, a rassemblé pas moins de 115’000 personnes.
Qui ne connaît pas le mouvement des Jeunes paroissiens (JP)? Nombre de nos lecteurs et lectrices y sont sans doute participé. C’est sous l’impulsion de son premier aumônier, le charismatique Albert Girardet (1914-1997), qu’a été fondé Crêt-Bérard en 1948. Nous n’en dirons pas plus, car l’auteur vient de consacrer à ce haut lieu du protestantisme vaudois un livre intéressant et richement illustré, publié aux Editions Cabédita.

On ne pouvait pas parler des associations de jeunesse sans évoquer le scoutisme en terre vaudoise. Le mouvement fondé par Baden-Powell a longtemps comporté des aspects patriotiques, voire militaristes, à côté de principes pédagogiques novateurs, l’apprentissage des choses se voulant fondée sur l’expérimentation. Le mouvement scout est longtemps resté bourgeois et urbain. Sa féminisation et l’influence de Mai 68 l’ont fait profondément évoluer. On peut dire qu’il a même été réinventé. Il faut relever que les scouts ont été parmi les premiers à proposer leurs services, lors de la première vague du Covid-19. Et on notera que l’auteur consacre quelques lignes aux Faucons rouges socialistes et aux Avant-Coureurs. C’est hélas la seule place faite dans ce volume à la riche tradition des associations ouvrières telles que la gym SATUS ou les Amis de la Nature. Même absence des sociétés d’immigrants étrangers, pourtant souvent très vivantes…

D’autres associations poursuivent des buts culturels ou scientifiques. C’est le cas de Pro Aventico, né en 1885, et dont le premier effet fut de mettre fin aux fouilles sauvages et au pillage du site gallo-romain d’Avenches! Quant à la Société vaudoise des Sciences naturelles, elle a été fondée autour de 1819. Elle comprend depuis quelques décennies des sections spécialisées (chimie, biologie, botanique, etc.) Elle est active sous la forme de conférences – ainsi celle donnée en 2019 à l’Aula du Palais de Rumine à Lausanne par le professeur Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie – mais aussi de cours, excursions, visites et publications. Malgré la double lacune que nous avons signalée plus haut, ce numéro de la Revue historique vaudoise offre donc un large panorama des associations, ces hauts lieux de camaraderie et de fraternité.

«Association passion», Revue historique vaudoise, 128/2020, Antipodes, 231 p.