Mendicité criminalisée

Il faut le dire • «Placée dans une situation de vulnérabilité manifeste, la requérante avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité»

Ressortissante roumaine issue d’une famille extrêmement pauvre, Madame Violeta-Sibianca Lăcătuş a 19 ans lorsque faute d’emploi, elle se retrouve à demander l’aumône dans les rues de Genève en 2011. Le 22 juillet, la police lui inflige une amende de 100.-, en application de l’article 11a de la loi pénale genevoise prohibant la mendicité. Au passage, elle est fouillée et un «magot» de 16 francs et 75 centimes est découvert dans ses poches. Dans les deux années qui vont suivre, Mme Lăcătuş se verra infliger huit autres amendes du même montant par ordonnances pénales et subira deux gardes à vue pour un total de six heures.

Elle fera opposition. En janvier 2014, le Tribunal de police du canton la déclare coupable de mendicité. Il la condamne à une amende de 500.-, assortie d’une peine privative de liberté en cas de non-paiement et confirme la confiscation des 16 francs et 75 centimes. Elle fait alors appel auprès de la chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice du canton. Et sera déboutée. D’où sa dernière tentative devant le Tribunal fédéral, avec un recours contre la décision de la chambre pénale d’appel. Il sera rejeté en mars 2015. L’infortunée est ensuite détenue à la prison de Champ-Dollon pour non-paiement de l’amende.

Passée par la case prison, pour avoir dans la misère tendu la main et été dans l’impossibilité de payer une amende, elle porte l’affaire devant de la Cour européenne des droits de l’homme. L’instance rend son verdict* lundi dernier: «La mendicité constituait pour elle un moyen de survivre. Placée dans une situation de vulnérabilité manifeste, la requérante avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité». En outre, la Cour estime que «la sanction infligée à la requérante ne constituait une mesure proportionnée ni au but de la lutte contre la criminalité organisée, ni à celui visant la protection des droits des passants, résidents et propriétaires des commerces». En vertu de l’article 8 de sa Convention (droit au respect de la vie privée et familiale notamment), la Cour condamne la Suisse à verser à la requérante 922 euros (1000.-) pour dommage moral. Enfin, elle conclut que l’ingérence commise sur Mme Lăcătu dans l’exercice de ses droits protégés par l’article 8 n’était pas «nécessaire dans une société démocratique». Il semble qu’elle le soit dans la nôtre.

* Les parties ont désormais trois mois pour demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour européenne…