Diplômé de l’école d’architecture de Genève, Morten Gisselbeak a dirigé dans les années 80 les travaux de transformation du centre culturel de l’Usine. Il a été un des piliers de la sauvegarde et de la rénovation de l’îlot 13. Et l’un des principaux acteurs du Collectif 500, qui s’est opposé avec succès au projet immobilier des CFF, prévoyant la destruction de plus de 350 logements populaires et bon marché dans le bas des Grottes. Il a finalement été conseiller municipal Ensemble à gauche de 2011 à 2020 en Ville de Genève. Interview.
Pourquoi se présenter à cette élection partielle, alors que le PS a passé son tour?
Morten Gisslebaek Il est vrai qu’avec une majorité de droite bien installée au Grand Conseil, l’enjeu n’aurait pu être qu’administratif si la droite avait été seule à concourir. Avec la candidature de la Verte Fabienne Fischer, soutenue par le PS, il était important de montrer qu’il existe, à la gauche du parti écologiste, des revendications fondées sur l’anticapitalisme pour sortir des crises systémiques, aussi bien climatique, sociale qu’économique que nous traversons.
Avez-vous des critiques à faire à l’actuel Conseil d’Etat?
J’ai un grief général contre les politiciens, qui, une fois au pouvoir, ne font pas ce qu’ils avaient promis avant élections. Avec la droite, le jeu est plus clair au moins. En ce qui concerne Antonio Hodgers, le seul élu écologiste au gouvernement, je ne vois pas de grandes différences entre ces projets de sur-densification urbaine et ceux de la droite, si ce n’est son recours occasionnel aux coopératives. Ce n’est pas pour rien que la population a refusé dans les urnes des projets comme celui du Petit-Saconnex, qui ne tenait pas compte des besoins des habitants et affichait un manque total de poésie et d’animation sociale.
A Meyrin, alors que des jeunes se battent pour de chouettes projets d’aménagement et de coopératives, le Plan localisé de quartier veut imposer des tours, cela me fait froid dans le dos. A La Praille, les architectes ont déjà dessiné une skyline d’immeubles pour ressembler à Dubaï ou New York, sans consultation des résident.e.s et salarié.e.s. Les PME sont expulsées au profit de bureaux. On réaménage à l’envers ce quartier.
Quels seront vos autres axes de campagne?
L’urgence climatique, qui s’annonce dramatique, est liée aujourd’hui au capitalisme. Celui-ci fout le monde en l’air par les délocalisations et les échanges mondiaux inégaux de production. Un mode de vie en croissance permanente tel qu’il est proposé va droit dans le mur. Il faut changer les rapports économiques, de production et de consommation. Ce qui passe aussi par des limitations, et pas seulement par des incitations comme le propose la candidate verte, dans notre façon de nous déplacer (voyage aérien low cost) ou de nous alimenter (importation de fruits et légumes hors saison).
Face au transport individuel motorisé, il faut privilégier des transports publics efficaces et gratuits, des pistes cyclables en nombre, des limites de 30km/heure en ville pour réduire la pollution de l’air. Ce que fait Serge Dal Busco dans ce domaine est courageux et la Ville aurait dû le réaliser depuis longtemps. Ce que montre aussi la crise du Covid-19, c’est que sont les plus pauvres et précaires qui trinquent. Il faut donc favoriser aussi un autre modèle social assurant une sécurité de l’existence.
Pour ce faire, vous proposez un revenu de base inconditionnel. Est-ce envisageable avec la dette publique que connaît le Canton?
Le Canton de Genève n’est pas super-endetté. La dette se monte aujourd’hui à 12 milliards, une situation proche de celle de 2006. Elle représente 25-30% du PIB du Canton, alors que la droite, avec l’aide d’une certaine gauche a tout fait pour réduire les rentrées fiscales, avec des réductions annuelles d’un milliard d’impôts sur la période, dont les 400 millions par an liés à la Réforme de la fiscalité des entreprises (RFFA). Les richesses sont là, mais il faut les taxer. Dans les faits, les personnes qui perçoivent l’AVS, des aides ou des subsides bénéficient déjà d’aides inconditionnelles. Tout cet argent pourrait être regroupé, en simplifiant le modèle et en le présentant comme un droit comme pourrait l’être un revenu de base. Bien entendu, rien n’empêche, en attendant cet horizon, d’augmenter les montants de l’aide sociale ou d’instaurer une 13e rente AVS.
On ne peut pas non plus imposer un revenu de base du jour au lendemain. Il faut fédérer les gens pour qu’ils dépassent leurs préjugés. L’objectif de cette avancée sociale est de pouvoir créer un cadre qui rassure chacun dans son quotidien pour ne pas avoir peur du lendemain. Et de permettre à tout individu d’avoir une liberté de choix face à son usage du temps. L’argent est là, la question est simplement sa répartition.
Vous êtes en faveur d’une décriminalisation de l’usage du cannabis récréatif. Pourquoi?
Il me paraît complètement absurde d’interdire une substance, dont tout le monde sait qu’elle est disponible quand on veut et où on veut. On perd un temps fou à traiter cette interdiction, qui coûte aussi cher aux contribuables en jugements ou incarcérations. La légalisation permettrait une meilleure approche sanitaire, une prévention de qualité, et un assèchement du marché mafieux et des rentrées fiscales non négligeables.
Vous êtes contre les vols spéciaux pour requérants déboutés et contre le futur centre de renvoi genevois.
Le nombre de requérant.e.s ne cesse de baisser en Suisse, du fait qu’ils.elles doivent déposer leur demande dans le premier pays européen qu’ils.elles atteignent. La Suisse, étant entourée de pays sûrs, a les moyens de bien accueillir ceux et celles qui viennent. Il est inadmissible de renvoyer des personnes menottées et sous contrainte. En collaboration avec l’Europe, il faut aller dans le sens d’une politique d’asile réfléchie, coordonnée, d’accueil. Le Canton a les moyens pour faire entendre ce programme à Berne. Les richesses sont en Europe, ce qui peut expliquer que ces personnes se dirigent en priorité vers ce continent.
Comment jugez-vous la politique sanitaire du Canton face au Covid-19?
Le monde s’est retrouvé face à quelque chose qu’il ne connaissait pas. Il était donc facile pour les autorités de se montrer autoritaires. D’autant plus qu’il y avait un vrai souci sanitaire, du fait du nombre de places limitées aux services des urgences et que s’imposait un devoir de protection de la population. Par la suite et du fait de l’évolution de la maladie avec ces variants, le gouvernement a accumulé des mesures complètement ubuesques, autorisant par exemple les prostituées à exercer leur métier, mais en fermant les librairies. Cela me semble totalement farfelu du point de vue des risques sanitaires.
Face à un climat qui devient répressif et individualise à la Mauro Poggia, la seule réponse adéquate est d’aider solidairement tout.e.s celles et ceux qui sont touché.e.s par la crise, aussi bien les commerces et les restaurants que leurs employé.e.s, ainsi que l’ensemble des personnes précarisées. Bien entendu, cette aide ne sera pas allouée aux entreprises qui versent des dividendes à leurs actionnaires ou licencient leurs employé.e.s. Jusqu’à présent, les mesures de soutien financier se montent à un milliard à Genève, soit le montant de la baisse d’impôts approuvée par la droite ces dernières années. Rappelons aussi que pour sauver la Banque cantonale, le Canton a mis sur la table 2,5 milliards. On peut faire plus et aider plus, attendre coûtera plus cher.
Candidat à sa succession, Pierre Maudet est présentement en jugement. Vos attentes?
Même si – à ma connaissance – il n’existe pas de corruption massive à Genève, le problème de l’entre-soi et de copinage existe bien, et même à gauche, où l’on devient redevable de l’autre pour un service ou un voyage payé. Si le fait de mentir n’est pas punissable par la loi, Pierre Maudet a bien reçu un cadeau de 50’000 francs sous la forme d’un voyage tous frais payés, en tant que Conseiller d’Etat et cela relève du pénal. Je fais suffisamment confiance à la justice et en la juge Sabine Mascotto pour qu’elles définissent que ces pratiques ne sont pas correctes. Je ne peux pas croire que Pierre Maudet ne sera reconnu coupable de rien, ce qui devrait quand même le desservir dans sa campagne.
Votre ancien parti solidaritéS traverse une crise interne. Qu’en pensez-vous, de même que de l’idée de créer un nouveau grand parti à la gauche de la gauche?
Quand on commence par annoncer qu’on veut faire une grande formation à la gauche du PS et qu’on réussit à séparer en deux son plus grand parti, c’est mal barré. Pour ce faire, il faudrait que toute une génération marquée par des casseroles, des querelles, des petites haines et d’ego-trip, ne soit plus là. A contrario, je pense que la jeunesse, avec ses propres thématiques et son propre vocabulaire, peut créer un grand mouvement fédérateur. En la côtoyant, je me rends compte qu’il y a une vraie aspiration de certain.e.s à un autre monde, mais en d’autres termes.
Quel scénario se profile pour ces partielles?
La multiplicité des candidatures de la droite, qui pourrait se retrouver au second tour avec le PLR, Cyril Aellen, à condition d’être devant Pierre Maudet, celle d’Yves Nidegger (UDC) ou de Michel Matter (Vert libéral) pourrait profiter à Fabienne Fischer. Mais je ne fais pas de pronostic.