Le Conseil des Etats est férocement misogyne

La chronique féministe • En faisant travailler les femmes jusqu’à 65 ans (au lieu de 64 actuellement), les sénateurs espèrent économiser 1,4 milliard de francs par an sur un total de 47 milliards

Malgré la Grève féministe du 14 juin 2019, malgré l’arrivée au Conseil des Etats de 22 nouvelles têtes (près de la moitié des 46), de 12 femmes souvent jeunes, et de 5 Vert.e.s, lors des élections fédérales de novembre 2019, cette chambre est restée réactionnaire, machiste, misogyne. Lisa Mazzone et Céline Vara doivent avoir l’impression d’être assises sur un siège de charbons ardents… Durant la session du printemps (1er-19 mars 2021), «la Chambre haute» s’est surpassée!

La définition juridique du viol est devenue un enjeu de société. La révision des dispositions du Code pénal suisse en matière d’infractions sexuelles s’inscrit dans ce contexte ultrasensible, où les attentes de l’opinion publique sont immenses. La notion de viol ne devrait plus être limitée à l’acte sexuel imposé par un homme à une femme et impliquant une pénétration vaginale. Les autres actes forcés – notamment la sodomie ou la fellation –, qui sont aujourd’hui punis au titre de la contrainte sexuelle (certes avec une peine maximale identique), devraient également être qualifiés de viols. Mais la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats met en consultation un projet qui fait hurler les milieux féministes. Selon ce texte, le défaut de consentement n’est pas suffisant pour retenir les infractions sexuelles les plus graves, il faudra toujours une forme de violence! En outre, les victimes de harcèlement sexuel ne pourraient pas bénéficier de l’allègement du fardeau de la preuve, initiative du canton de Genève que le Conseil des Etats a refusée par 28 voix contre 13. Les vieux Suisses aux bras noueux, qui constituent la majorité du Conseil des Etats (31 sur 46), n’ont visiblement pas entendu les revendications de la Grève féministe.

Ensuite, il y a eu le détricotage par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique de l’arrangement concernant l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Pour faire avaler la pilule, le camp patronal avait daigné accorder la possibilité de prendre une retraite anticipée dès 62 ans. La commission l’a relevée à 63 ans, montrant le vrai visage de la majorité bourgeoise aux Chambres. Pour elle, l’édifice de prévoyance est une charge, non une richesse.
En faisant travailler les femmes jusqu’à 65 ans (au lieu de 64 actuellement), les sénateurs espèrent économiser 1,4 milliard de francs par an sur un total de 47 milliards. A croire que ces députés sont sourds et aveugles ou incapables de tirer des leçons du passé. En effet, le peuple a déjà refusé deux fois l’élèvement de l’âge de la retraite des femmes. En 2004 et en 2017, alors que le projet 2010, qui compensait l’augmentation d’une année de l’âge de la retraite des femmes par un soutien aux hommes et aux femmes qui en avaient le plus besoin, a été coulé par le Parlement, à cause d’une union contre nature PS-UDC.

L’histoire de l’AVS n’a jamais été un long fleuve tranquille. De son approbation par le peuple en 1947 à aujourd’hui, il y a eu 10 révisions. Et aussi beaucoup d’échecs. Depuis 20 ans, aucun projet n’a trouvé de majorité, alors que les sombres perspectives financières sont connues depuis longtemps: avec la prolongation de l’espérance de vie et l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération des baby-boomers, la prévoyance vieillesse doit être consolidée.
Approuvée le 6 juillet 1947 par 80% des votants, la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse est chérie par la gauche pour son caractère universel. Tout le monde cotise selon un certain pourcentage de son salaire et tout le monde reçoit, quels que soient ses parcours de vie et statut, selon un principe de répartition et de solidarité.

En 1972, le peuple inscrit dans la Constitution le concept des trois piliers: soit l’AVS (assurance), le 2e pilier (épargne professionnelle obligatoire) et le 3e pilier (facultatif). Mais les nuages s’amoncellent progressivement: l’espérance de vie s’allonge, le taux de natalité baisse, le rapport entre actifs et passifs se réduit. Le temps est venu des révisions qui font mal. En 1997, la conseillère fédérale socialiste Ruth Dreifuss parvient à convaincre le peuple d’accepter la 10e révision de l’AVS. L’âge de la retraite des femmes augmente ainsi d’une année, de 63 à 64ans, dès 2005. En contrepartie, des bonifications pour tâches éducatives sont introduites. Depuis, plus rien.

Quand elles sont descendues dans la rue, en 2019, c’était pour réclamer une meilleure justice et l’égalité, notamment salariale, qui figure dans la loi depuis le 24 mars 1995 (son principe depuis 1981), mais n’est toujours pas appliquée 25 ans plus tard. Elles revendiquaient également une rente décente pour les femmes. En effet, la rente de vieillesse moyenne des femmes n’atteint que 63% de celle des hommes, cela tient à la différence salariale, au temps partiel et à la disparité observée dans le 2e pilier. Selon le Panorama des pensions 2013, dressé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les personnes retraitées en Suisse sont parmi les plus mal loties des 34 pays de l’OCDE. Notre pays présente le 4e taux le plus élevé de pauvreté. Seuls le Mexique, l’Australie et la Corée du Sud sont plus défavorisés encore! 21,8% des Suisses âgés de plus de 65 ans sont considérés comme bénéficiant d’un pouvoir d’achat insuffisant contre 12,8% en moyenne pour les pays de l’OCDE.

Et si l’on tenait compte du travail non rémunéré qu’assument les femmes? En Suisse, 9,2 milliards d’heures de travail non rémunérées ont été accomplies en 2016, soit 1320 heures par personne. Leur valeur monétaire est estimée à 408 milliards de francs. Et on veut économiser 1,4 milliard sur leur dos? Ajoutons qu’il paraît absurde de vouloir augmenter l’âge de la retraite, alors que les travailleurs.euses de plus de 50 ans sont celles et ceux qui ont le plus de peine à retrouver un emploi si ces personnes se retrouvent au chômage et chez lesquelles le taux d’aide sociale a le plus augmenté ces dernières années.

Il est aberrant, injuste, méprisant, inhumain de vouloir faire payer le renflouement de l’AVS aux seules femmes, déjà prétéritées dans tous les domaines. Voici quelques solutions plus égalitaires: unir AVS et 2e pilier, une durée de cotisation plutôt qu’un âge limite, ce qui favoriserait les CFC, 1% supplémentaire de cotisation pour les revenus annuels supérieurs à 200’000 frs., une aide de la BNS, richissime. Cette liste n’est pas exhaustive.

Un peu d’imagination et de courage, Messieurs!