Naissance de la mondialisation

Livre • La mondialisation a commencé en l’an 1000. C’est la thèse que défend l’universitaire étasunienne Valerie Hansen.

Bateau porteur d'espoirs de découvertes par Jón Gunnar dans la capitale islandaise. (Fougerouse Arnaud)

Rappelons d’abord que, pris dans son sens neutre et non polémique, le terme de «mondialisation» correspond à un processus de libre circulation des marchandises, capitaux, personnes, techniques et idées. Jusqu’ici, il était admis que la mondialisation avait connu deux phases initiales. La première aurait suivi la «découverte» de l’Amérique par Christophe Colomb et la circumnavigation de Magellan en 1521. Quant à la deuxième, elle aurait été amenée au 19e siècle par la révolution industrielle en Europe et a ouvert la création des grands empires coloniaux.

Débuts précoces sous les Vikings

Or la professeure à l’Université de Yale, Valerie Hansen, avance une thèse décapante, dans un ouvrage de synthèse qui a connu un succès mondial. Pour elle, qui s’appuie d’ailleurs sur une riche bibliographie, la mondialisation a commencé autour de l’an 1000. C’est en effet à cette époque «qu’ont été tracées les routes commerciales qui, sur l’ensemble de la planète, ont permis aux marchandises, aux technologies, aux religions» de se répandre hors de leur sphère d’origine. Selon une estimation approximative, la Terre aurait compté alors 250 millions d’habitants.

La démonstration de l’auteure commence par l’expédition viking qui, en l’an 1000, a conduit Leif Erikson jusqu’en Amérique. Celle-ci est aujourd’hui incontestée par les historiens, même si le seul site viking attesté en Amérique du Nord se situe dans l’Anse aux Meadows, au nord de Terre-Neuve. Mais il paraît certain que les Scandinaves sont descendus plus au sud, dans une terre plus accueillante qu’ils nommaient «Vinland». Les traversées des Vikings vers l’Islande, le Groenland et l’Amérique ont ouvert de nouvelles voies vers l’Ouest.

Expéditions suédoises

De leur côté, les Suédois ont traversé la Baltique puis ont parcouru les fleuves de ce qui allait devenir la Russie (ce nom vient d’ailleurs du nom nordique Rus’ désignant les Scandinaves), jusqu’à atteindre la mer Noire. Ils étaient à la recherche de fourrures, très demandées à l’époque, et d’esclaves: il est d’ailleurs admis que le mot «esclave» vient de «Slaves». Ils ouvrirent ainsi de nouvelles voies commerciales vers l’Est et furent à l’origine du premier État russe, celui de Kiev, après la conversion au christianisme byzantin de leur roi Vladimir autour de 988. Les Vikings menèrent aussi des expéditions jusqu’en Méditerranée. Tout cela provoqua d’intenses échanges commerciaux: en témoigne la quantité phénoménale de dirhams d’argent – une monnaie typiquement arabe – retrouvés en Suède et dans toutes les terres conquises par les Scandinaves.

Voies panaméricaines

Bien que totalement ignorées par les Européens jusqu’à leur «découverte» et aux sanglantes conquêtes de Cortès au Mexique et Pizzarro dans les Andes, l’Amérique centrale et du Sud n’étaient pas en reste. Valerie Hansen consacre un chapitre aux «grandes voies panaméricaines de l’an 1000», du Yucatan au Texas actuel. Celles-ci amenèrent notamment la diffusion de la culture intensive du maïs, née au Mexique.

L’auteure met également en valeur le rôle des Africains dans les échanges commerciaux entre le monde islamique et l’Afrique. Ce qui explique la forte imprégnation de l’Islam dans des pays comme le Sénégal. La capitale des Abbassides, Bagdad, rayonnait alors comme l’un des centres intellectuels du monde. Les Arabes commerçaient avec de nombreux pays, dont l’Inde. La mondialisation a aussi permis aux grandes religions de se propager dans de nouvelles contrées. Ce fut le cas notamment de l’islam, dans toute l’Asie centrale et jusque dans l’actuelle Indonésie. On a pu parler d’un «internationalisme sunnite»!

Périples polynésiens et chinois

Une vision longtemps trop européocentriste de l’Histoire a conduit à ignorer les grands périples maritimes effectués par les Polynésiens et les Chinois. En l’an 1000, la Chine était l’empire le plus engagé dans des relations commerciales avec des nations étrangères. Du port de Canton, d’immenses jonques (beaucoup plus grandes que les caravelles de Christophe Colomb cinq siècles plus tard) voguaient vers l’Inde et l’Arabie. Les Chinois importaient notamment des défenses d’éléphants, des noix de coco, du poivre noir, du clou de girofle et d’énormes quantités de substances aromatiques, très prisées chez eux ainsi qu’au Japon. Ils exportaient surtout des soieries et des porcelaines, dont ils possédaient les secrets de fabrication.

Tout cela incline à relativiser la «nouveauté» des voyages maritimes de Vasco de Gama et des conquistadors espagnols. En réalité, ils ne faisaient le plus souvent qu’emprunter d’anciennes voies de navigation et de commerce, découvertes bien avant eux.
Si cet ouvrage s’adresse à un large public, il requiert néanmoins une attention assez soutenue, car l’auteure décrit avec force détails (parfois un peu trop) les différentes civilisations concernées par la démonstration de sa thèse. Voilà un livre qui ouvre de larges perspectives et nous fait voyager dans un espace-monde bien antérieur au nôtre et méconnu.

Valerie Hansen, L’an 1000. Quand les explorateurs ont connecté l’humanité et que la mondialisation est née, Éditions Quanto (Presses polytechniques et universitaires romandes), 2021, 395 p