Voyage au coeur de sentiments révélateurs

Livre • Notre chroniqueur, Jean-Marie Meilland, sort un livre faisant une phénoménologie des sentiments et défendant une société «socialiste», la mieux à même de favoriser l’épanouissement des êtres sociaux.

C’est dans un passionnant voyage dans les sentiments – qui forment un substrat important de nos vies de tous les jours – que nous entraîne notre collaborateur avec son dernier ouvrage, Le monde des sentiments. En vrai philosophe, foin de recours aux substrats chimiques comme la sérotonine, l’adrénaline ou la dopamine pour expliquer ce monde foisonnant. Il fait plutôt sien le précepte du philosophe empiriste anglais David Hume. Ce dernier développait dans son Traité de la nature humaine (1739) une pensée morale sentimentaliste, selon laquelle nos jugements, notamment moraux, se baseraient non pas sur la raison, mais sur nos sentiments, nommés «impressions».

Pour point de départ à sa recherche, l’idée que le «fondement de notre existence, donc de nos sentiments, est la tendance à se maintenir dans l’être et si possible à le développer», dans le sillage de la notion de conatus (effort de persévérer dans son être) exposé par Spinoza dans son essai L’Ethique. Cette persévérance existentielle part de deux grands sentiments généraux et opposés, le désir (tendance à rechercher ce qui accroît notre être) et l’aversion – mouvement de retrait par rapport à ce qui nous nuit. Suit alors un compendium exhaustif de ce qui fait notre être interne, où chaque sentiment (joie, espoir, orgueil, tristesse, haine. etc) est patiemment décrit et illustré par des nombreuses citations issues d’oeuvres littéraires ou de chansons populaires, montrant la vaste et érudite culture de l’auteur. Le découragement est ainsi une tristesse diminuant l’être avec l’idée qu’en tout cas momentanément ce qu’il recherche n’est pas à sa portée et que les efforts pour l’obtenir ne serviront à rien.

Haro sur la société capitaliste consumériste

A l’issue de ce tour d’horizon des sentiments émanant du moi et de ceux qui sont plus sociaux (liés à un objet externe), s’ouvrent des grands chapitres de discussion et d’évaluation. La première à trait aux rapports entre morale et sentiments en distinguant ceux que l’on peut qualifier de bons de ceux que l’on peut caractériser de mauvais.

Après avoir montré que les sentiments varient en fonction des âges de la vie, l’auteur s’intéresse à leur valorisation dans différents types de société, exercice quelque peu périlleux si l’on veut éviter le schématisme: la traditionnelle, la féodale, la communiste, la capitaliste consumériste et la société socialiste idéale.

«Si l’on met les sentiments capitalistes en rapport avec l’égoïsme et l’amour de soi, il est clair que la société capitaliste a instauré la domination de l’égoïsme sur l’amour de soi: toute la dynamique capitaliste fondée sur la compétition entre individus pour maximiser les revenus financiers s’enracine en effet dans l’égoïsme, obéissance à son propre intérêt matériel, en excluant comme négative la préférence pour des objectifs désintéressés et des préoccupations qui ne sont pas matérialistes», tranche-t-il. Dans la foulée, il dénonce aussi les effets pervers des nouvelles technologies, notamment des téléphones portables, qui poussent à l’isolement et à l’individualisme, en excitant les désirs.

Pour Jean-Marie Meilland, la société qui favorisera l’émergence de bons sentiments est à chercher du côté d’une société socialiste encore à construire. «Une telle société ne place au premier plan ni la conquête du pouvoir ni l’enrichissement, mais pour tous l’épanouissement humain qui passe par une bonne qualité de vie impliquant beaucoup de temps libre et la possibilité d’accéder à la culture et à la spiritualité», estime-t-il. Conclusion globale: «Un premier avantage à favoriser les sentiments positifs est l’amélioration des chances de bonheur pour tous les êtres humains: vivre dans la tristesse et la haine revient à être malheureux, vivre dans la joie et l’amour accroît de beaucoup des chances de traverser avantageusement l’existence». En vrai moraliste, avec comme boussole son cher Vauvenargues (1715-1747), l’auteur éclaire un monde sentimental méconnu, en nous invitant à faire les bons choix et «à mieux nous connaître». n

Jean-Marie Meilland, Le monde des sentiments, sentiments et société, contribution pour une connaissance satisfaisante de l’être humain, Edition Soleil blanc, 2021, 308 p.