Renaître après le refus de la loi CO2

Suisse • Soutenue par tous les partis à l’exception de la droite nationaliste et de la gauche combative, en sus de la Grève du climat en Suisse romande, la loi CO2 a été refusée par 51,6% des votants. Comment rebondir en offrant une loi climatique ambitieuse ne lésant pas les salariés par un surplus de taxes?

Une initiative fédérale pour interdire les placements de la place financière suisse dans l’énergie fossile. (MHM55)

En ce soir du 13 juin, l’UDC, seul parti à droite à s’opposer à la loi CO2 plastronnait. Il appelait «à une relance politique libérale sans mise sous tutelle, sans interdiction et sans hausse constante des impôts et redevances». Itou pour les milieux pétroliers ou d’importateurs de voitures qui se frottaient les mains. L’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA) en appelait à l’aménagement rapide de l’infrastructure de recharge publique pour les véhicules électriques et aussi à «un soutien ciblé pour les stations de recharge privées».

Feuille de route trop longue

Mais à la gauche du PS et des Verts, on avait aussi de quoi être satisfait. «La population ne voulait pas d’une feuille de route sur 10 ans, qui ne prévoyait que des taxes antisociales. Une enquête préélectorale avait bien montré que les personnes avec un revenu de moins de 7000 francs étaient contre la loi et ceux en dessus la soutenaient. Ce clivage a aussi été doublé par un écart entre les villes et les campagnes, qui sont plus dépendantes de la voiture», analyse Anaïs Timofte, présidente du POP-Vaud. «La loi était socialement injuste, même si elle prévoyait une rétrocession des deux tiers des taxes sur les carburants à la population et aux entreprises. Elle aurait pesé sur le budget de la grande majorité de la population tout en restant sans effet significatif sur le réchauffement climatique. Le prix de l’essence et les billets d’avion auraient augmenté sans dissuader les privilégié.es de polluer sans compter», confirme Ensemble à Gauche. «Les mesures de protection du climat doivent être socialement acceptables et la population doit se sentir impliquée et entendue», renchérissait la Grève du climat en Suisse romande. La présidente du POP vaudois ne croit pourtant pas à l’enterrement d’un projet climatique ambitieux et à des solutions a minima comme ne manquera pas de le réclamer la droite. «La gauche de la gauche et la Grève du climat ont mené un combat utile, qui a aussi permis de peser dans le rapport de forces et éviter à l’avenir un projet complètement anti social», assure-t-elle.

Alternatives en gestation

«Il faut remettre l’ouvrage sur le métier et maintenir des objectifs ambitieux de réduction d’émissions de CO2, en visant zéro émission dès 2030, et au pire en 2050, comme le stipulent les accords de Paris que la Suisse a ratifiés, mais avec des nouveaux instruments. Et cela commence par s’attaquer aux vrais pollueurs, qu’est la place financière suisse, en interdisant les investissements dans les énergies fossiles. Celle-ci pollue 22 fois plus que la population dans son ensemble. Il y a aussi trop d’entreprises polluantes qui bénéficient de passe-droit, en achetant des droits d’émission à l’étranger», estime Anaïs Timofte.

«Bien que la place financière soit également explicitement mentionnée dans les Accords de Paris, la nouvelle loi ne contenait aucune mesure contraignante à ce sujet. La place financière ainsi que les multinationales, doivent être tenues pour responsables», confirme Gary Domeniconi de la Grève du climat. Dès la proclamation des résultats, l’Alliance climatique suisse, qui regroupe une centaine d’organisations de tous horizons comme l’Union syndicale suisse (USS), Pro Natura, Amnesty International, Public Eye ou Pro vélo et qui défendait la nouvelle loi à défaut de mieux, a annoncé qu’elle pourrait lancer prochainement une initiative populaire pour des placements propres pour les 6200 milliards sous gestion en Suisse.

Pour la présidente du POP-Vaud, «il serait aussi important d’investir dans des programmes de réduction de gaz à effet de serre plutôt que de poursuivre sur le chemin des éco-taxes». «Nous défendons par exemple la gratuité des transports publics, le mieux à même de favoriser un transfert modal des moyens de transport», explique-t-elle. Ce message est partagé par le reste de la gauche

Investissements massifs et mesures

Partisan de la loi CO2, le parti socialiste défend dorénavant un grand programme intérieur massif d’investissements dans le tournant énergétique, dans les infrastructures publiques, les transports publics et les énergies renouvelables «dans le sens d’un Green Deal, comme le préconisent également l’Union européenne ou l’administration Biden aux Etats-Unis», comme l’explique le Monsieur Energie du parti, le conseiller national vaudois Roger Nordmann. Ce programme devrait aussi favoriser une approche sectorielle comprenant la rénovation des bâtiments, le transport routier et aérien.

Investir dans des alternatives? La Grève du climat a proposé dès janvier 2021 un catalogue radical de 138 mesures de protection du climat«réalisables et validées par dizaines d’expert.es et de scientifiques de toute la Suisse». Celui-ci comprend des propositions allant de la généralisation d’études d’impact climatique au reclassement professionnel du personnel du secteur aérien, à l’encouragement des bâtiments en location ou une meilleure classification des sols. Le mouvement entend défendre dans la rue son programme au travers de mobilisations à l’automne.

«Nous défendrons aussi les initiatives et projets au niveau institutionnel, qui vont dans le sens d’une réduction des gaz à effet de serre et qui soient pas de l’écologie punitive», assure Anaïs Timofte. Elle pense notamment à l’initiative pour les glaciers déposée en novembre 2019. Cette dernière a fait l’objet d’un contre-projet du Conseil fédéral en septembre 2020. Le texte exige qu’aucun carburant ni combustible fossile ne soit mis en circulation en Suisse à partir de 2050. Ceci avec des exceptions, un soutien financier et la création de conditions infrastructurelles et institutionnelles appropriées en faveur de technologies respectueuses du climat.

Pour certains partis comme les Verts, la révision de la loi sur l’énergie, qui comprend aussi une controversée ouverture complète du marché de l’électricité, et un renforcement des énergies renouvelables, pourrait être l’occasion de relancer le débat sur la protection du climat. «Pour notre part, nous veillerons aussi à ce que les plans climatiques cantonauxou communaux comme à Lausanne respectent leurs engagements», conclut Anaïs Timofte.