Le folk rock envoûtant de Delia Meshlir

MUSIQUE • Entre introversion expérimentale et indie folk psychédélique, la Lausannoise Dayla Mischler trace un sillon inspiré et atmosphérique. A découvrir en concert aux Aubes musicales et sur la toile.

La msuicienne, compositrice et chanteuse Dayla Mischler signe un folk vallonné de fulgurances rock psychédélique aux guitares. DR

Grave comme un soupir émanant d’une crypte velourée qu’aurait doucement hantées des voix cristallines folk rock historiques d’Emylou Harris à Sharon Van Etten, Delia Meshlir est un projet réunissant Dayla Mischler à la voix-guitare (ex-Cheyenne sur des influences blues, Primitive Trails), Steven Navid côté guitare (Widdershins), Alex Muller Ramirez pour basse, synthé, voix et Arnaud Martin (Oregon Trail) qui officie à la batterie avec des variantes.

Fidèle à son habitude, Delia Meshlir interprète des errances tour à tour mélancoliques, épiphaniques et déchirées avec une émouvante justesse de ton. Au chapitre composition, tout débute en solitaire chez la jeune femme sur le mode guitare-voix, imaginant les futurs arrangements rêvés puis connaissent d’autres possibles en groupe.

Art des contrastes

Après un premier LP solo autoproduit Stories From Vacuity en 2015, elle a mâtiné pour Almost Spring (2020) un vieux fond folk de fulgurances noise rock, psychédéliques, «tout en gardant à l’esprit le songwriting», la musicienne, chanteuse et compositrice lausannoise Delia Meshlir y voit des «nuances issues d’un paysage vallonné de collines». En entretien, l’artiste confie être fascinée par la culture amérindienne sa connexion chamanique avec la nature et sa compréhension holistique et sensible du monde, «ce qui se ressent dans le visuel et les textes de l’ensemble de mes projets.»

Empreint d’une énigmatique cinégénie, la méditation sur la chute, d’une puissance sensorielle déchirée et rock, y est contrebalancée par des ballades chaloupées et réverbérées. Ainsi Ice Grip est un troublant medium tempo (où la musique n’est ni rapide ou lente), somatique dans le sillage d’une sensualité glamour des années 50 à la Lana Del Rey. A suivre l’artiste, voici «une valse trébuchante imaginée dans un rythme à la fois rebondi et doux, restant une chanson lumineuse prend nombre de virages avec des temps suspendus et des épisodes plus rock et intenses.»

Côté paroles, entre détachement mélancolique et présence-absence de l’autre, «la distance et l’absence peuvent révéler des liens plus forts» au cœur d’un amour «projection qui nous dépasse» animé du désir de perdurer dans «l’éphémérité même de l’existence alors que le corps redeviendra poussière».

Folk atmosphérique revisité

Delia Meshlir suit de loin en loin le sillage de musiciennes telles Chan Marshal alias Cat Power, dont la vie intime est l’embrayeur créatif principal, l’âme d’enfance retrouvée d’une PJ Harvey. Et surtout l’inde pop sophistiquée madrée de folk rock de l’Américaine native de Saint-Louis, Angel Olsen. Sans les projeter au rang de figures tutélaires, la jeune compositrice reconnait ici des filiations souterraines.

Pour ses sets live en trio, l’artiste délie, un univers folk expérimental, sombre et envoûtant. Il est mêlé à un songwriting poétique et tourmenté. Comme générer des images à l’aide du son? Son autre formation, en duo elle, Primitive Trails travaille davantage bruitages venteux et textures «qui craquent comme un bateau chavirant».

Du haut de ses ambiances aux guitares spectrales, elle dépeint ainsi l’expérience d’un entre-deux, seuil ou deuil de soi et de l’autre: «Quelques nuances dans l’obscurité d’une forêt abandonnée ou d’une salle de bal. Quelques souvenirs d’un vieux fantôme pleurant sur une vie brève et torturée, hantant la mémoire de ceux qui vivent encore, afin de ne pas oublier et de ne pas pardonner. Quelques nuances entre deux mondes. Quand l’un regarde, l’autre est une rançon, nous étions… tu deviendras».

Ambiances cinéma

Découverte au détour des concerts accompagnant la sortie du docu-fiction en forme de puzzle poétique, Karen Dalton. A Bright Light signé Emmanuelle Antille sur l’artiste blues-folk américaine Karen Dalton, Delia Meshlir poursuit une mise à nu tranquille, nimbée d’une force d’attraction subtile. Lyrique et sur la retenue intime, Almost Spring – le titre épiphanique a son goût de cendres – de l’album éponyme sorti à l’aube du crash pandémique, pendule entre nuances d’ombres et lumières intermittantes.

«Créé en arpèges, le titre ambient et dreamy s’ouvre par chorus de guitares perlées, suscitant une nappe drone-folk lumineuse. Comme une parenthèse dans la tête». Ceci au fil d’une atmosphère cinématographique imagée chère à cette artiste formée à la Haute Ecole d’art et de design genevoise (HEAD) en vidéo et photo. Entre couplets éthérés et refrains plus affirmés.

Temps et amour

Une veine poétique aux cordes volontiers noise que l’on retrouve au détour de Cross My Heart avec une guitare qui est aussi une voix très aigüe semblable à une sorte de yukulele rock et insufflant une large palette émotionnelle. Sans taire la balade vaporeuse en forme de berceuse bluesy et oppressante aux orgues crépusculaires au détour de Seagulls. Soutenant les accords, l’orgue permet «une pulsation organique et tripale accompagnée d’une basse enveloppant la voix haut perchée».

En février dernier, secondée au piano par Steven Nadid, elle sort le magnifique et délicat On Time With You empreint de sa voix sinueuse, enveloppante et trainante rappelant la berceuse que l’on réalise au fond du tombeau chère à Samuel Beckett. Le morceau fut écrit dans ce moment de bascule où temps et amour se conjuguent autant qu’il se contredisent pour parvenir à aimer l’autre, alors qu’il ou elle vient à manquer de force pour le faire. «L’amour est-il plus fort que tous les détours que l’on peut empaumer dans une vie?», s’interroge in fine Dayla Mishler.

En concert: Aubes Musicales, Bain des Pâquis, Genève le 8 août à 6 heures du matin. Rens.: lesaubes.ch. A écouter sur www.deliameshlir.bandcamp.com