La nécessité sociale de taxer les ultra-riches

Suisse • Le 26 septembre 2021, le peuple suisse se prononcera sur une initiative des jeunesses socialistes qui vise à taxer le 1% de la population qui tire ses revenus de sa fortune. (Par Patrick Savioli)

Pour obtenir un revenu net de plus de 100’000 francs, il faut une fortune placée de plus de 10 millions, rappellent les initiants. (DR)

Les opposants à l’initiative n’ont pas manqué de brandir bien haut le drapeau rouge en arguant que «ses conséquences seraient particulièrement catastrophiques pour la majorité des entreprises familiales suisses». Tiens, voilà maintenant que la droite, qui pleurnichait lorsqu’il fallait venir en aide aux entreprises lors de la première vague de la pandémie, s’érige en défenderesse des entreprises familiales suisses.

Exil fiscal

Décortiquons patiemment les arguments fallacieux des opposants: l’initiative 99% menace l’emploi, freine l’innovation et nuit à l’attractivité de la Suisse en tant que place économique. Ah bon? Si vous êtes debout, asseyez-vous parce pour avoir trouvé un argument tel que celui-ci, il faut vraiment vivre sur une autre planète. Voilà qu’on nous agite encore une fois le spectre des pertes d’emplois et le départ des grosses fortunes de la Suisse.
Cette initiative vise à imposer les revenus du capital qui dépasse 100’000 francs à 1,5 fois le taux. En sachant que les plus-values boursières ne sont pas imposables, cela correspond donc en grande partie aux revenus obligataires et immobiliers de l’assujetti.

Pour obtenir un revenu net de plus de 100’000 francs en tenant compte des taux d’intérêt actuels ridiculement bas, il faut avoir une fortune placée de plus de 10 millions (calcul avec 1% d’intérêt par année) ou un rendement locatif sur un immeuble de plus de 2 millions (calcul avec un rendement locatif net de 5%).

Si une entreprise familiale suisse a un portefeuille de titres ou des immeubles loués, c’est pour faire de la spéculation ou du rendement. Sûrement pas pour développer l’innovation et créer des emplois. D’ailleurs, l’initiative se concentre sur les revenus du capital des personnes physiques et non pas sur la fiscalité des entreprises.

Cohésion sociale

En Suisse, plus de la moitié des entreprises ne paye aucun impôt, donc elles ne distribuent pas de revenu du capital. Ajoutons encore qu’avec plus de 30% des entreprises qui ne paient pas plus de 10’000 frs d’impôts, on est loin du plafond de revenu de 100’000 frs fixé dans le projet. Et si jamais, pour les adeptes du tourisme fiscal, il y a un paradis en Suisse: le canton de Zoug.

Autre argument des opposants, l’initiative minerait la cohésion sociale et saperait le principe du fédéralisme. Cette initiative attiserait aussi la jalousie, susciterait des rancœurs, freinerait les investissements dans l’économie suisse, contribuerait à la destruction d’emplois, pénaliserait fortement l’incitation à la création de richesses et cerise sur le gâteau… un exil des grosses fortunes à l’étranger ne pourrait être exclu.

De plus, elle signerait la fin des start-ups, susciterait l’insécurité et bouleverserait l’équilibre du système fiscal suisse. C’est faire rapidement l’impasse sur le fait qu’il existe autant de systèmes fiscaux en Suisse que de cantons, que les revenus du capital (dividendes) sont déjà imposés à seulement 70% (pourquoi?). Et que la Suisse compte plus de 5000 personnes au bénéfice d’un forfait fiscal. Qui ne seraient donc pas impactées en cas d’acceptation par le peuple. Un forfait fiscal, c’est une imposition forfaitaire sur la dépense d’un multimillionnaire qui ne travaille pas en Suisse et qui bien sûr ne paie pas d’impôts dans son pays (sauf s’il est américain, mais étonnamment, il ne doit pas y en avoir beaucoup).

Système fiscal indigent  et très sélectif

Selon Chuck Collins, co-auteur du rapport sur les grosses fortunes américaines publié par l’Institute for Policy Studies, «dans une société saine dotée d’un système fiscal efficace, la richesse se disperse au fil des décennies, à mesure que les gens ont des enfants, paient leurs impôts et donnent à des œuvres caritatives. Mais dans un système fiscal indigent, la richesse s’accélère au fil des générations conduisant à une richesse et à un pouvoir consolidé».

Pour la petite histoire, le président F. D. Roosevelt a imposé les hauts revenus à 63% en 1935, puis à 79% dès 1936 et même à 91% en 1941. Les Etats-Unis ont ensuite vécu avec un taux marginal d’imposition proche de 80% pendant 50 ans.

L’indice suisse de la Bourse s’est apprécié de plus de 560% depuis sa première négociation en juin 1988, soit une performance annualisée de 6.3% (hors dividende) ou 5% (corrigé de l’inflation moyenne). Les taux hypothécaires sont au plancher et les loyers au plus haut. Alors, après la crise sanitaire de 2020, où l’on a vu les gens faire la queue pour recevoir de quoi manger, où beaucoup ont perdu leur emploi ou se sont vu être mis au bénéfice des RHT, la diatribe des opposants à l’initiative est particulièrement mesquine. Et il serait temps que ceux ayant grassement profité de l’essor économique de ces vingt dernières années pensent un peu à participer à l’effort collectif.