Les femmes rejettent les diktats de beauté et apprennent à s’accepter

La chronique féministe • Après #MeToo, qui a libéré la parole des femmes sur le harcèlement sexuel subi dans tous les milieux, les femmes veulent se défaire d’une autre oppression, plus insidieuse: les multiples diktats qu’on impose à leur corps.

Membres du mouvement Body positive en tenue de fitness. (Piqsels)

Parmi les articles que j’ai emportés à Skyros, début septembre, figurait «Chacune fait ce qui lui plaît», tiré de Télérama, 5-11.6.21. Poils, cheveux blancs, kilos en trop… les femmes s’assument davantage sans fard. C’est une lame de fond, portée par les réseaux sociaux. Après #MeToo, qui a libéré la parole des femmes sur le harcèlement sexuel subi dans tous les milieux, les femmes veulent se défaire d’une autre oppression, plus insidieuse: les multiples diktats qu’on impose à leur corps. Les journaux féminins en faisaient – et en font encore – leur miel dès les frémissements de la saison estivale: «Plan d’urgence avant le maillot», «Belles fesses et peau de satin», «Seins superbes, tous les conseils»…

En février 2021, lors des Victoires de la musique, la chanteuse Yseult arborait une tenue extra-moulante noire, échancrée de partout, sur son corps opulent, pour interpréter son tube Corps. Le 12 mars 21 lors des César, Corinne Masiero apparaissait nue, partiellement couverte de faux sang, des tampons hygiéniques en guise de boucles d’oreilles (elle a l’âge de la ménopause). Elle commenta quelques jours plus tard: «Ma force, c’est d’être moche et vulgaire»… le contraire de ce qu’on attend d’une femme! Elle a évidemment reçu des torrents d’insultes sur Internet.

Ces gestes symbolisent le refus grandissant de se plier aux directives esthétiques imposées aux femmes. Le mouvement se propage dans toute la société, des jeunes de 20 ans aux cinquantenaires et plus, qui arborent fièrement leur chevelure blanche. Sur les réseaux sociaux, elles postent des images d’elles non maquillées, non épilées (aisselles, jambes). Elles font la nique aux boutons, aux rides, aux bourrelets. Elles revendiquent leurs «défauts», en font des signes de fierté: «Grosse avec frange», «La fille qui a des taches», «Cheveux blancs, et alors?», «Liberté, pilosité, sororité».

Rien de tel chez les hommes, qui ne vantent pas leur ventre bedonnant ni leur calvitie. Mais la situation est totalement différente: «Leur corps ne change rien à leur place dans le monde, il n’est pas un vecteur de discriminations ni de violences. Un homme peut être gros, chauve et ridé sans que cela nuise à son éventuelle attractivité sociale ou sexuelle. Chez les femmes, c’est l’inverse: la société valorise toujours celles dont l’apparence souscrit aux normes esthétiques», dit la philosophe Camille Froidevaux-Metterie. Malgré des avancées depuis les années 70, notamment dans le monde du travail, les femmes continuent d’être d’abord définies par leur corps.

Dès la puberté, la femme est confrontée à des ordres contradictoires. Elle est considérée comme un être consentant sexuellement, mais provocatrice si elle porte un short. Pendant trente ans, elle aura ses règles, objet de honte, voire de moqueries, dont les douleurs sont ignorées. Puis vient la ménopause, sujet encore tabou. Vers 60 ans, elle aura quasiment disparu de la représentation sociale. Tout au long de sa vie, la femme, soumise au regard extérieur, n’est jamais sereine par rapport à son corps.

La jeune génération revendique le droit de s’affirmer comme elle le souhaite, dans son apparence, ses amours, son genre. Le corps lui apparaît comme le dernier bastion à conquérir, avec l’émergence de nouveaux thèmes dans le débat public: l’endométriose, les violences gynécologiques, la redécouverte du clitoris, ignoré, jusqu’à tout récemment, par les traités et le cours de médecine, ainsi que dans les dossiers pédagogiques concernant la sexualité et la reproduction.

Pendant des décennies, le cinéma, la mode, les magazines, la publicité ont rendu les femmes malheureuses en leur proposant des modèles de beauté inaccessibles. Ce qui a créé des pathologies sociales, des générations de complexées et de dépressives. «Body positive» fut lancé aux Etats-Unis en 1996 par Connie Sobczak et Elizabeth Scott. C’est un mouvement social en faveur de l’acceptation et l’appréciation de tous les types de corps humains, dont les personnes obèses. Il encourage la diversité et l’estime de soi, en sou- tenant que la beauté est une construction sociale, qui dépend des cultures, et défie les stéréotypes partagés par les médias. Il s’est largement propagé, grâce à la création de sites web et des réseaux sociaux, mais n’est arrivé en Europe que depuis 4-5 ans.

Amélie Tehel, qui prépare une thèse intitulée (Re)construire un corps hors-normes, s’en réjouit: «On commence enfin à comprendre qu’il ne faut pas confondre corps normal et corps normé. Depuis 2017, il est obligatoire de mentionner que les photos de mannequins utilisées dans les publicités ont été retouchées.» Ces photos ont des effets dévastateurs chez les jeunes filles et provoquent souvent des comportements boulimiques ou anorexiques. Les marques de vêtements ont de plus en plus tendance à délaisser leurs mannequins filiformes au profit de femmes qui ressemblent davantage à celles qu’on croise dans la rue.

Le compte Instagram «On veut du vrai» a été lancé en mai 2019 avec ce mot d’ordre: «La parole est à VOUS». Deux ans plus tard, il compte 34’500 abonnées et expose des femmes d’âges divers, avec des vergetures, de la cellulite, des cicatrices, et qui sourient. Cette quête du vrai s’inscrit dans un contexte plus large: le souhait de se connecter à un état plus naturel, de consommer des produits «bio». On peut ajouter l’affirmation de certaines de ne pas être mère. «Les femmes ont réalisé que leur corps continuait d’être objectivé et aliéné, alors qu’elles vivaient dans une société soi-disant émancipée», commente Camille Froidevaux-Metterie. «On en revient au point central des revendications féministes: avoir le choix», ajoute Amélie Tehel.

Quand il m’arrivait de lire un magazine féminin, qui donnait de multiples recommandations sur la mode, le maquillage, le bronzage, les crèmes régénératrices, les régimes, les exercices physiques pour maintenir sa ligne, etc., je me rendais compte que si j’essayais de suivre les conseils d’un seul numéro, j’y passerais mes journées… Je me suis donc détournée de tout ça. Et je ne comprenais pas celles qui prétendaient ne pas descendre à la boîte aux lettres sans être maquillée…

Aujourd’hui, il est réjouissant de constater que les femmes osent assumer leur corps, en tournant le dos à des décennies d’injonctions, pour rechercher et accepter leur apparence, leur personnalité, et apprendre à dire: «Je m’aime comme je suis.»