L’asile et les violences systémiques

Suisse • Les violences dans les Centres fédéraux d’asile viennent de faire l’objet d’une enquête indépendante. Des améliorations sont indispensables.

Le Centre fédéral d’asile de Giffers/Chevrille (FR) était sous les feux de l’actualité suite aux brutalités de certains vigiles privés. (SEM) © Marco Frauchiger

Il était attendu le rapport de l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer afin de déterminer si des collaborateurs des services de sécurité privée faisaient un usage disproportionné de la contrainte dans les Centres fédéraux d’asile (CFA). Outre des incidents relevés sur le site de Giffers/Chevrille dans le canton de Fribourg, au CFA de Bâle et au Centre pour requérant.es mineur.es non accompagné.es (RMNA) de l’Etoile à Genève, plusieurs témoignages de vigiles recueillis par Le Courrier faisaient apparaître une «une banalisation de la violence» au sein des centres, des conditions de travail déplorable et un manque de formation du personnel de sécurité.

Moyens disproportionnés

En 2019 et 2020, la nouvelle Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) avait aussi révélé l’usage fréquent de moyens disproportionnés par le personnel de sécurité des centres, notamment l’immobilisation corporelle, le recours à des gels au poivre ou encore le placement en salle de «réflexion», qui s’apparente en réalité à une sorte de cellule de détention.

Face à cette mise en cause publique, l’ancien juge fédéral s’est penché sur sept cas problématiques, tous objets de plaintes devant la justice. «Trois cas montrent une réaction disproportionnée et peut-être même illicite à une situation de conflit», estime l’enquêteur. Ce dernier explique «qu’il n’y a pas d’indice de violation systématique des droits des requérants d’asile ni d’une partialité générale de la part des collaborateurs des services de sécurité». Le Secrétariat aux migrations (SEM) de Mario Gattiker, présent lors de la présentation du rapport, pouvait crier un ouf de soulagement.

N’empêche, l’homme de loi saint-gallois formule plusieurs recommandations pour améliorer la situation. Il appelle à une meilleure formation des vigiles, mais aussi à une présence des collaborateurs du SEM au sein de CFA. Il demande aussi au SEM de définir plus clairement les règles relatives à l’application de mesures disciplinaires et l’utilisation des salles de réflexion. Sans oublier de revoir les bases légales concernant l’usage de la contrainte et de mesures policières. Ceci en vue de protéger les requérants et les collaborateurs des CFA. Il estime de surcroît qu’il faut améliorer les processus d’établissement de rapports d’incidents.

«Suite au rapport de notre organisation paru en mai, il faut saluer la sortie d’une enquête sur le sujet, qui montre que si la violence n’est pas systématique, elle est bien systémique», assure Pablo Cruchon, porte-parole d’Amnesty International Suisse. Il défend d’autres améliorations à mettre en place. Ainsi «il serait important de mieux protéger les lanceurs d’alerte (souvent des collaborateurs) au sein de la structure, mais aussi d’assurer un mécanisme de plainte indépendant pour les requérant.es et que le SEM, une fois présent dans les centres, fasse respecter les droits humains», assure-t-il.

Privatisation problématique

«Ce rapport démontre que l’externalisation de tâches de sécurité à des acteurs privés est problématique», estime aussi l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). Elle souligne que «le SEM doit adopter des mesures efficaces de prévention de la violence dans un cadre contraignant». L’association veut de même qu’un bureau indépendant de gestion des plaintes soit mis en place rapidement dans tous les Centres fédéraux d’asile.

On est nettement plus critique du côté de l’association Solidarité sans frontières. «Les sept cas étudiés ne peuvent être considérés comme représentatifs, mais plutôt comme l’arbre qui cache la forêt. Les rapports indépendants et témoignages de requérant.es d’asile montrent une autre réalité. Celle où les personnes hésitent à porter plainte, parce qu’elles ne sont pas au courant de leurs droits, parce qu’elles sont intimidées ou parce qu’elles craignent l’effet que cela peut avoir sur le traitement de leur demande d’asile. Parfois, elles sont mêmes changées de centre ou renvoyées avant d’avoir pu entamer des démarches», explique Sophie Guignard, sa secrétaire générale.

Barbelés et confiscation de nourriture

Pour l’association le cadre carcéral des CFA est problématique, «avec ses barbelés, contrôles d’identité et fouilles inopinées, interdiction d’y faire entrer de la nourriture, même des pots pour bébés, etc». Remplacer la formation des Securitas par une formation policière ne résoudrait pas le problème.

Pourquoi? Parce que «les cas de violence des centres fédéraux ne sont que révélateurs d’un phénomène plus large: le système d’asile suisse veut dissuader plutôt que protéger et tant que les centres seront conçus comme des lieux d’exclusion plutôt que d’accueil, la violence y sera toujours présente, qu’importe l’organe de contrôle», relève l’association.