Un 25e féminicide suisse

La chronique féministe • Déjà 25 femmes sont mortes sous les coups de leur mari ou de leur compagnon.

Un 25e féminicide suisse a eu lieu la semaine dernière dans le canton de Genève, si l’on compte les deux femmes tuées à l’étranger. Déjà 25 femmes sont mortes sous les coups de leur mari ou de leur compagnon. Dont 4 en une semaine: 13 octobre, une femme de 30 ans est poignardée à mort à Altstetten (ZH), vraisemblablement par son mari. 16 octobre, à Netstal (Glaris), un homme de 27 ans aurait tiré sur une femme de 30 ans dans sa voiture. 18 octobre, un homme et sa fille de 12 ans sont retrouvés morts à Rapperswil-Jona (SG). La police suppose que le père a d’abord tiré sur sa fille, puis s’est suicidé. 21 octobre, tôt jeudi matin, une femme de 58 ans à Vandoeuvres (GE) est vraisemblablement abattue par son mari. 2020 avait recensé 16 féminicides ainsi que 5 tentatives L’année n’est pas terminée et le sinistre record est déjà battu. Il représente mensuellement plus de deux femmes assassinées par leur conjoint, compagnon ou ex. Le constat est horrifiant.

Il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre de femmes tuées chaque année en Suisse. L’Office fédéral de la statistique (OFS) ne rapporte actuellement que les crimes violents par sexe et dans le domaine de la violence domestique. Cependant, le motif ou le contexte du crime n’est pas enregistré.

Le 25 octobre, la Tribune de Genève, abordant le problème, a élaboré une carte de Suisse indiquant le lieu, la date et l’âge des victimes. Le premier s’est déroulé le 2 janvier à Breitenbach (SO). Les points concernent quasiment toute la Suisse, sauf les cantons primitifs et les Grisons. Les victimes avaient entre 12 et 90 ans. Le problème touche aussi bien les villes que les campagnes, tous les milieux, tous les âges. Même les vieilles femmes ne sont pas à l’abri.

L’assassinat d’une jeune femme par son compagnon, dans le canton du Jura, le 21 octobre 2019, est l’un des exemples démontrant les insuffisances du droit des femmes. Mélanie fut amenée dans une zone forestière, mains attachées, et violée par son mari, qui venait d’apprendre qu’elle voulait le quitter. Le lendemain, elle trouva le courage de porter plainte au commissariat de police de Delémont. La justice confisqua les armes à feu du mari et lui imposa des mesures d’éloignement; malgré la gravité des faits, il ne fut pas incarcéré. Quelques jours plus tard, il tua Mélanie. Sa famille a saisi la justice. Mais début mars 2021, la plainte pour homicide par négligence et omission de prêter secours a été classée! La famille de Mélanie et les organisations de femmes de Jura pensent qu’il y a eu négligence, et revendiquent la poursuite des responsables.

Sylvie Durrer, directrice du Bureau fédéral de l’égalité, souligne la plus grande sensibilité des médias et du public à la question. Il y a quelques années, les médias évoquaient les féminicides comme des «drames familiaux» contre lesquels on ne pouvait rien faire. A présent, chaque homicide est ressenti comme inacceptable et des solutions immédiates sont demandées. «Trop d’auteurs de féminicides étaient déjà connus pour être violents et menaçants», regrette Sylvie Durrer.
Depuis janvier 2021, le gouvernement fédéral met à disposition 3 millions de francs par an pour des projets de prévention. L’Office fédéral de la statistique mène en outre une enquête complémentaire sur tous les homicides pendant 5 ans (2019-2024). Mais des conseillères nationales ne sont pas satisfaites. Les socialistes Tamara Funiciello, Yvonne Feri et Marina Carobbio Guscetti réclament davantage de fonds que les 3 millions alloués. Elles demandent notamment des structures d’accueil supplémentaires pour les femmes menacées, l’inclusion du terme «féminicide» dans la loi, ainsi que la création d’un programme pour les auteurs de ces crimes.

«Violence contre une, violence contre toutes.» Environ 70 personnes se sont rassemblées jeudi 28 octobre à Bel-Air pour dénoncer l’augmentation des féminicides en Suisse. A la lumière de 25 torches symboliques, les manifestant.es ont scandé en chœur leur rage face à l’inaction des autorités. Le collectif «Engageons les murs» a aussi réalisé la performance du collectif chilien Lastesis, Un violeur sur ton chemin: «Il ne s’agit pas d’un spectacle, mais d’un hommage à nos sœurs et adelphes disparu.es». Les féminicides sont l’aboutissement terrible d’une culture de domination genrée. Ces violences ont une dimension systémique qui doit être reconnue. Pour ces pervers, la femme est une propriété et non un être libre. Ils ne supportent pas qu’elle les quitte.

Une fois de plus, la Suisse est en retard. Les féministes demandent la création d’un plan national de lutte contre les violences sexistes, un recensement fédéral des féminicides, des actions concrètes: une sensibilisation dès l’école primaire, la formation de la police, de la justice et des services sociaux, des procédures plus rapides, un numéro et un bouton d’urgence, des moyens de protection lorsque les violences surgissent, une gestion coordonnée des menaces graves, le respect des mesures d’éloignement, la prise en charge des victimes, ainsi que des hommes violents.

Le site «Arte H24» dénonce, par de courts films, les violences sexistes et sexuelles quotidiennes que subissent les femmes. Ces reconstitutions mettent en lumière le fonctionnement sexiste de la société patriarcale. Partout, la violence est systémique. Elle conduit finalement au viol et au féminicide. Il faut saluer l’investissement de la Ville de Genève pour que les femmes puissent s’approprier l’espace public. En effet, 7 adolescentes sur 10 de moins de 15 ans ont déjà subi le harcèlement de rue, et cette proportion passe à 100% à 25 ans…
Il faut restituer le respect de l’autre dès l’enfance, à la maison comme à l’école, et ne laisser passer aucune blague, aucun geste sexistes. Même s’il faut pour cela braver les ricanements et les critiques. Devant la passivité des autorités fédérales, des personnes privées se sont mobilisées. En septembre 2020, la journaliste Sylke Gruhnwald, la scientifique Nadia Brügger et la graphiste Pauline Martinet ont lancé le projet de recherche «Stop Femizide». Sur le site web du même nom, en trois langues: allemand, français, italien, les trois femmes tentent de répertorier chaque féminicide en Suisse ou d’une femme suisse avec le lieu et l’heure. En outre, il donne des conseils pour se faire aider, les adresses de lieux d’accueil, etc.

Il faut en effet dire STOP aux féminicides, et aux violences en général. La société entière doit se mobiliser.