Scholz, pas encore chancelier, déjà rattrapé par les affaires

Allemagne • Une vaste enquête diligentée par le «Spiegel» et réalisée en partenariat avec plusieurs titres européens révèle le refus de l’ex-ministre des Finances d’établir la transparence sur les relations de son administration fiscale avec les entreprises.
(Par Bruno Odent, Paru dans l’Humanité)

Olaf Scholz, le chancelier en devenir, est dans la tourmente, accusé une nouvelle fois de complicité, au moins passive, avec les milieux d’affaires. Les révélations publiées dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Der Spiegel sur l’organisation de l’évasion fiscale au sein de l’Union européenne (UE) mettent en lumière le rôle restrictif du ministère des Finances allemand, qu’il dirige depuis 2018, et pointent sa complaisance, voire sa complicité avec les financiers et les gestionnaires des grands groupes. Les enquêteurs du Spiegel s’appuient sur des milliers de documents qu’ils ont pu récupérer avec d’autres journalistes européens dans le cadre d’un partenariat placé sous l’égide de l’organisation European Investigative Collaborations (EIC), regroupant plusieurs médias européens, dont le belge le Soir, l’italien l’Espresso et le français Mediapart.

Les investigations ont porté sur l’examen détaillé des interventions d’un groupe basé à Bruxelles et chargé par l’UE de faire respecter un «code du comportement» entre autorités, d’une part, géants de la finance ou contribuables ultrariches d’autre part. Ce dispositif avait été mis en place au lendemain du scandale LuxLeaks, qui avait révélé fin 2014 les rouages des dispositifs politico-administratifs luxembourgeois qui ont permis à des multinationales telles Apple, Amazon, Ikea ou la Deutsche Bank d’échapper quasi totalement à l’impôt.
L’organisme n’a pas franchement contribué à redresser les «comportements déviants», pointe Der Spiegel avec un sens consommé de l’euphémisme.

Au contraire, des méthodes toujours plus sophistiquées d’échapper au fisc ont largement perduré, s’appuyant sur les relations privilégiées des maîtres de l’«optimisation fiscale» avec les plus hautes autorités des différents Etats membres. Ainsi le dumping fiscal n’a pas été réduit, mais s’est au contraire étendu au sein de l’UE, soulignent les enquêteurs. Avec pour conséquence un abaissement continu du niveau de l’impôt sur les sociétés observé partout. Et cette singulière particularité: le taux de ce dernier se rapproche désormais dans plusieurs Etats membres du seuil d’imposition minimum de 15% des grands groupes qui vient d’être décrété au plan international. Loin de la botte secrète pour laminer l’évasion fiscale parfois brandie par certains, la mesure et son taux très faible fonctionnent surtout comme un encouragement au dumping.

Opposé aux contrôles renforcés

Après le scandale LuxLeaks, Olaf Scholz a fait partie de ceux qui se sont opposés à des contrôles renforcés des administrations fiscales. Pourtant, Bruxelles jurait avoir obtenu une meilleure coopération entre partenaires européens afin d’établir «la plus grande transparence». Il y a tout juste un an, le ministère allemand des Finances fut interpellé sur la nécessité de rendre public l’état de ses accords avec les entreprises, comme l’ont fait alors d’autres pays de l’UE. Pas question de communiquer sur «ces ententes», a-t-on fait savoir chez Scholz. Car «elles font partie du secret fiscal». Le ministre allemand exigeait que les informations échangées entre Etats membres ne fassent l’objet d’aucune publication, «même anonyme», relève Der Spiegel.

Que cache ce singulier manque de coopération? Le nom du ministre a déjà croisé les plus retentissants scandales financiers au cours de la dernière décennie. Dans l’affaire Wirecard, plusieurs centaines de milliards d’euros ont été détournées dans les conditions obscures. Là aussi, interpellé sur le manque de contrôle à l’égard du groupe devenu en un temps record l’indice vedette de la Bourse de Francfort, le ministre des Finances a plaidé avoir tout ignoré des agissements des aigrefins dirigeants du mastodonte des paiements numériques, à qui il disait pourtant accorder «toute sa confiance» quelques mois plus tôt. Dans l’affaire de la banque hambourgeoise Warburg portant quelques années plus tôt sur des avances fiscales, baptisées CumEx, totalement fictives, mais bel et bien remboursées par l’administration, le nom de Scholz apparaît également.

Le nouveau maillon accroché à cette chaîne d’affaires retentissantes devrait peser très lourd sur la crédibilité d’un Olaf Scholz chancelier. «Le bilan de son combat contre la fraude fiscale au plan européen est désastreux», clame Janine Wissler, qui copréside le parti Die Linke. Le candidat du SPD à la chancellerie, ajoute-t-elle, s’est davantage comporté «comme un parrain des paradis fiscaux» que comme leur contempteur.