Le harcèlement scolaire

La chronique féministe • Le harcèlement scolaire a des conséquences à court et long terme, notamment sur l’estime de soi.

Récemment, Chanel, 12 ans, s’est suicidée à Frévent (Pas-de-Calais). Sa famille a révélé qu’elle était harcelée, notamment depuis qu’elle avait pris du poids. Selon l’association HUGO, il s’agit du 18e suicide d’enfant depuis le premier janvier.
Le harcèlement scolaire est caractérisé par l’usage répété de violences, dont des moqueries et autres humiliations. Les récents développements dans les technologies de la communication viennent compliquer le problème. Au moyen du «cyberharcèlement», les enfants harceleurs peuvent poursuivre leurs méfaits hors des murs de l’école, anonymement ou pas. Les jeunes sont 62% à communiquer par Internet avec leurs ami.es et 58% sur les réseaux sociaux. Mais pas toujours pour le meilleur, puisque 9,5% déclarent avoir été agressé.es ou harcelé.es sur les réseaux, jusqu’à 24% chez les adolescent.es de 18 ans.

Quand j’étais petite, j’ai subi du harcèlement scolaire, sans savoir que cela portait un nom. Je louchais, on m’a opérée des deux yeux quand j’avais 7 ans. On me traitait de «guenon», de «tête de singe», j’entendais: «On ne sait jamais qui elle regarde, celle-là!», à la gym, on me donnait des coups de pied. Un peu plus tard, quand je suis allée dans la nouvelle école de Trembley, dès la 2e année primaire de l’époque, sans que je sache pourquoi, une dizaine de «grandes» m’attendaient sur le chemin du retour, dans le parc, m’encerclaient, me posaient des questions que je ne comprenais pas, puis repartaient. Le matin, j’avais mal au ventre en pensant à ce qui m’attendait. J’en ai parlé à ma mère, qui m’a conseillé de faire tournoyer ma corde à sauter au-dessus de ma tête! J’en étais incapable. Je n’ai jamais compris pourquoi elle n’était pas simplement venue me chercher. J’imaginais que ce supplice durerait toute la vie… Le dernier jour de la semaine, après m’avoir de nouveau encerclée, elles me giflèrent, posément, l’une après l’autre, en me disant que c’était fini. Je ne comprenais pas cette haine. Devant ces filles déchaînées, je me sentais impuissante, abandonnée de tous, même de ma mère. Ce fut une expérience traumatisante. Mais elle ne dura qu’une semaine. Certes, les insultes «tête de singe» continuèrent de m’accompagner durant une partie de ma scolarité. Mais elles cessèrent dès que j’entrai à l’école secondaire. Surtout, il n’y avait pas les réseaux sociaux. Quand je rentrais à la maison, je me sentais en sécurité. A l’époque, j’ignorais qu’il s’agissait d’une pratique courante. Je pensais que comme j’étais la seule à souffrir de strabisme, j’étais la seule à subir des moqueries.

Aujourd’hui, quand j’entends ce que subissent certains enfants, je suis horrifiée. La victime est souvent choisie en fonction d’un handicap, d’une différence physique (origine, couleur de peau ou des cheveux, surpoids, taille, âge) ou tout autre critère de différence sociale (plus riche, plus pauvre, profession des parents). Isolé.es socialement, ayant moins d’amis pour les défendre, ces enfants sont des victimes faciles.

Le harcèlement se traduit souvent par de la violence physique, mais il prend aussi d’autres formes: les moqueries, l’ostracisme, la propagation de fausses rumeurs, les insultes, le racket, les jeux dangereux, comme le jeu du foulard. La pratique du harcèlement scolaire va de pair avec une situation de domination. Le harceleur est généralement un garçon, notamment pour les violences physiques et le racket. Les filles ont plus souvent une participation indirecte, qui repose sur la propagation de rumeurs, les insultes ou l’ostracisme. Une étude menée au Royaume-Uni a montré que 25% des adolescent.es issu.es de minorités ethniques étaient victimes de harcèlement scolaires, contre 12 à 13% pour la moyenne de l’échantillon. Dans les établissements scolaires difficiles, les bon.nes élèves peuvent aussi être harcelé.es pour cette raison. Le profil-type est caractérisé par la timidité, l’anxiété ou la soumission.

Le concept du harcèlement scolaire a été forgé au début des années 70 par le psychologue Dan Olweus, à l’occasion d’études réalisées dans des établissements scandinaves. Il en a établi deux critères fondamentaux: les agressions sont répétées et s’inscrivent dans la durée; la relation entre l’agresseur ou les agresseurs et la victime est asymétrique. Le harcèlement scolaire est un mécanisme complexe, qui entre en écho avec la période spécifique de l’adolescence. La personnalité est soumise à toute une série de remises en question (oppression viriliste, identités alternatives, quête d’autonomie) créant une insécurité dans laquelle le groupe, notamment le groupe malveillant, peut offrir une réponse aux individus en quête d’affirmation.
L’agresseur éprouve un fort besoin de domination et cherche à apparaître comme un «dur» aux yeux des autres enfants. Il est en général impulsif, même hyperactif. Il est souvent plus fort et plus grand que la moyenne, ou dans certains cas, petit et complexé, ce qui peut le rendre agressif. Il présente des troubles d’anxiété marqués, voire paranoïaques. Le pourcentage d’élèves agressifs est le même à tous les niveaux de la société. Le manque d’affection et un modèle parental valorisant l’agressivité constituent, selon cet auteur, des facteurs favorisants. Chaque personne présente un point faible, qui deviendra un point d’attaque pour les agresseurs. Il y a une domination d’une partie sur l’autre et l’impossibilité, pour la personne soumise, de réagir et d’arrêter le combat.
Ce phénomène concerne la plupart des pays. Le rapport sur la situation de la violence et du harcèlement à l’école dans le monde, publié par l’UNESCO en 2017, évaluait à 246 millions le nombre d’enfants touché.es, ce qui a conduit les ministres du G7 éducation réunis à Sèvres le 4 juillet 2019, à «faire de la lutte contre le harcèlement sous toutes ses formes une cause commune».

Le harcèlement scolaire a des conséquences à court et long terme, notamment sur l’estime de soi. D’après une enquête de l’association britannique Young Voice, réalisée auprès de 2772 élèves en 2000, 61% des victimes de harcèlement auraient des idées suicidaires. Une autre réalisée en France en 2009 auprès de 3000 collégien.nes montre qu’environ 10% des élèves admettent avoir été régulièrement harcelé.es, tandis que 5% se reconnaissent comme régulièrement harceleurs. Des chiffres qui sont certainement au-dessous de la réalité. Et devinez quoi? Les filles sont majoritairement victimes. Ce qui n’étonnera pas les lecteurs et les lectrices de cette chronique.