Gouzel Iakhina a écrit une fresque historique centrée sur la Volga

livre • Les amateurs de grands romans russes liront ce magnifique deuxième opus de l’écrivaine Gouzel Iakhina.

Gouzel Iakhina. (Nazaretujs)

Son premier livre, Zouleikha ouvre les yeux, paru en 2017, qui nous entraînait en Sibérie dans l’univers des déportés de l’ère stalinienne, avait déjà connu un succès mondial. Cette fois, l’auteure nous emmène sur les rives du grand fleuve Volga, entre Stalingrad (Volgograd) au Sud et Samara au Nord. C’est là qu’a commencé à se constituer une importante colonie allemande, émigrée en Russie à l’appel de l’impératrice Catherine II, entre 1764 et 1773. Ce roman raconte à la fois des destins individuels, mais saisis dans le cadre de la Grande Histoire, qui parfois les broie.

Au centre du récit, l’instituteur Jakob Ivanovitch Bach, pur germanophone, qui enseigne dans le village de Gnadenthal, du côté de la steppe. Il donne aussi des leçons particulières à Klara Grimm, qui vit avec son père dans une ferme isolée sur l’autre rive, elle abrupte, de la Volga. Il va l’épouser. Suite à des circonstances tragiques, Klara met au monde une fille, Anntche, mais meurt en couches. Pendant des années, Bach va élever seul la fillette, sans paroles, reclus dans sa ferme isolée, à l’abri des affaires d’un monde hostile qu’il refuse de voir. La grande Histoire se déroule néanmoins, qu’il le veuille ou non. Car Gouzel Iakhina peint aussi une vaste fresque des événements politiques qui affectent Gnadenthal. C’est la Révolution bolchevique, avec la figure pathétique du commissaire du peuple Hoffmann, qui tente de créer un «homme nouveau» soviétique, ce que l’auteure décrit avec une certaine ironie. Puis le temps de la grande famine de 1921-1922, qui fit près de 5 millions de morts, et l’élimination des koulaks (paysans riches). En 1924, la région devient République autonome des Allemands de la Volga. En 1927 commence la période stalinienne, avec ses purges successives. Staline n’apparaît jamais dans le roman que sous l’appellation de «guide des peuples». En septembre 1941, il fait déporter au Kazakhstan 438’000 «Allemands soviétiques», soupçonnés d’être des traîtres potentiels après l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht. Ils ne reverront jamais leur terre natale.

Une écriture «féminine»

Tout cela constitue la toile de fond du livre. Mais le lecteur s’attache au personnage complexe de Bach, de la jeune Anntche, et plus tard du Kirkhize Vasska, un de ces enfants errants jetés sur les routes par la famine, sans parler des figures secondaires du roman. Tous vont être rattrapés par l’Histoire, ce que le lecteur découvrira.

Mais ce roman est aussi admirable sur le plan de l’écriture. On y trouve de très belles évocations de la nature, de la Volga, notamment en hiver lorsqu’elle est recouverte de glace. Il tient aussi du merveilleux, celui des contes russes, et parfois du fantastique, lorsque Bach écrit des récits anticipant sur les événements réels qui vont se produire. Le style de Gouzel Iakhina est «féminin», dans ce que celui-ci a de meilleur: certaines pages sont bouleversantes, comme celles où Bach s’ingénie maladroitement à nourrir la nouveau-née à côté de sa mère morte. Vraiment, Les Enfants de la Volga est l’un de ces amples romans dans la lignée de Tolstoï. Il n’est pas exagéré de dire que les deux livres successifs de Gouzel Iakhina, excellemment traduits en français par Maud Mabillard, constituent un véritable événement littéraire!

Gouzel Iakhina, Les Enfants de la Volga, Editions Noir sur Blanc, Lausanne, 2021, 507 pages.