Le RBI,dilemme pour la gauche

SUISSE • Le revenu de base inconditionnel (RBI), qui doit permettre à chaque citoyen de bénéficier d’une rente distribuée régulièrement et sans contrepartie par l'État divise la gauche.

«Le montant alloué doit permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique». Depuis le début de sa campagne en faveur du RBI, qui sera soumis au vote le 5 juin, le nouveau président de BIEN (Basic Income Earth Network)-Suisse, Ralph Kundig s’emploie à lustrer tous les attraits de son bébé. Ce projet d’allocation universelle, soutenue dans l’histoire par des courants aussi divers que des marxistes (comme Bernard Friot en France), des libertariens ou des écologistes radicaux (comme André Gorz), prévoit l’instauration d’une rente mensuelle, estimée selon le comité d’initiative à 2’500 francs, suffisante pour vivre, versée individuellement à chaque personne, de la naissance à la mort, quels que soient ses autres revenus ou sa fortune. «Cette allocation changerait notre rapport au travail et au salaire. Elle permettrait à certaines personnes de pouvoir vivre, en sortant de la seule recherche de la survie», a expliqué la députée au Grand Conseil genevois Salika Wenger, lors d’une assemblée générale de son parti. Selon le projet défendu par les initiants, le RBI se substituerait à la plupart des prestations sociales jusqu’à la hauteur de son montant (AVS, AI, allocation d’étude et familiales, aide sociale, assurance chômage, etc.). Les prestations sociales en sus seraient cependant maintenues pour les ayants droit, par exemple dans le cas du chômage ou des prestations complémentaires.

 Une reconnaissance du travail domestique

Les bénéficiaires seraient aussi libres d’accroître leurs revenus en prenant un travail. «En offrant une véritable sécurité économique, le RBI accorderait surtout à chaque bénéficiaire une liberté de choix. Le salarié ne serait plus contraint d’accepter n’importe quel travail», valorise BIEN-Suisse. «L’employeur, de son côté, devrait rendre le travail plus attrayant. C’est également la création artistique qui s’en trouverait valorisée en libérant les salariés des contraintes liées au travail», explique encore l’association. Le RBI permettrait d’offrir enfin une reconnaissance financière de tout le travail non rémunéré – souvent domestique et féminin – qui n’est pas payé aujourd’hui. Comment financer cette allocation, grosse pierre d’achoppement pour la droite? BIEN-Suisse estime qu’après transfert du coût des prestations sociales remplacées (62 milliards) et de la part des revenus du travail (110 milliards) que le RBI devrait remplacer, il faudra trouver un solde de 18 milliards. Alors que le Conseil fédéral et Alain Berset, qui viennent de lancer leur campagne contre l’initiative, jugent que la mesure coûterait 25 milliards, donc une augmentation de 8 points de TVA. «Le solde peut aisément être couvert de multiples façons, comme un ajustement de la TVA, de la fiscalité directe, une taxe sur la production automatisée, sur l’empreinte écologique, etc.», suppute l’association.

Blanc-seing à la droite dure du parlement

Dire que le RBI divise la gauche est un euphémisme. Si le PdT genevois, qui sera sûrement conforté dans son choix par le PST-POP, approuve le projet, l’Union syndicale suisse (USS) ou Travail.Suisse s’y opposent et les Verts laissent la liberté de vote. Si ces derniers reconnaissent que le RBI «supprimerait la nécessité de travailler et briserait la logique néolibérale du marché du travail», ils craignent que les entreprises baissent considérablement les salaires, du fait qu’il n’y aura pas de salaire minimum. Ils estiment aussi que ni le montant du revenu de base ni son financement ne sont clairs. Même dilemme au PS suisse qui ne donne pas de recommandations de vote. Alors que le PS genevois souligne que le RBI améliorerait les conditions de vie de la majorité des citoyens, considérant qu’il leur permettrait de concilier vie de famille et travail rémunéré, d’entreprendre des études ou encore de se lancer dans l’auto-entreprenariat, le PS vaudois a balayé le projet. Il critique une initiative «très mal ficelée et qui rate ses objectifs». Sur son blog, le conseiller national, Jean-Christophe Schwaab la qualifie d’initiative mi-coquille vide, mi-boîte de Pandore. Il dénonce tout d’abord le blanc-seing laissé à la droite dure du parlement. «Celui-ci pourrait en faire n’importe quoi. Les initiants donnent donc une carte blanche à la droite parlementaire pour fixer un montant. Or, ces derniers temps, cette même majorité de droite s’est surtout illustrée par des positions qui vont totalement à l’encontre de ces objectifs», critique vertement le député. Il craint aussi la disparition définitive d’une assurance comme l’AVS, dont les rentes sont toutes moins élevées que le montant de l’allocation universelle proposé. «Son mécanisme de financement est absolument génial, car il permet une redistribution des richesses dont notre pays a de plus en plus besoin. Comme les cotisations ne sont pas plafonnées (au contraire des rentes), celui qui gagne des millions paie d’énormes montants à l’AVS sans pour autant que sa rente ne s’accroisse. Sur les très hauts revenus, les cotisations AVS sont donc un impôt. Un impôt que la droite rêve de supprimer», houspille le Vaudois.

 Individualisme accentué?

Mais d’autres critiques, plus philosophiques et de fond, se font aussi entendre, comme celle qu’a lancée, dans nos colonnes, le fondateur de la Gauche valaisanne alternative, Jean-Marie Meilland. Il considère que ce revenu va créer «une société à deux vitesses», avec la mise à l’écart des catégories de personnes «considérées comme inutiles pour l’économie de demain», ce qui leur enlèvera leur dignité de citoyens, en leur refusant le droit d’apporter, eux aussi, leur pierre à la société. Une objection que fait sienne Jean-Marie Harribey, membre des Economistes atterrés en France et coprésident du conseil scientifique d’Attac-France qui craint, comme il l’a dénoncé dans le quotidien Libération, que le revenu inconditionnel n’accentue l’individualisme ambiant, en débouchant sur une généralisation des arbitrages privés. Sans reconnaissance des autres pour valider nos activités, l’idée même de société disparaît, prophétise l’économiste. Le débat peut commencer. n

 

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