«Quand on t’enlève l’eau, la terre, l’air, ta vie est en morceaux»

Chevron • Depuis 1972, Mariana Jimenez vit en Amazonie équatorienne, dans la région polluée par le géant pétrolier Chevron-Texaco. Elle a assisté, comme les 29’000 autres victimes de la multinationale, à la destruction progressive de la zone, touchant aussi bien la nature que ses habitants.

Mariana Jimenez fait partie des 30'000 victimes de Chevron-Texaco

Voir également l’interview de Pablo Fajardo, avocat des 30’000 victimes de Chevron Texaco en Amazonie équatorienne.

«A cette époque, les lieux étaient encore un paradis», se souvient Mariana Manuela Jimenez Abad. Arrivée dans la région en 1972, elle a assisté, comme les 29’000 autres victimes de Chevron, à sa destruction progressive. Dès 1975, Texaco (qui n’a été rachetée par Chevron que plus tard) construit de larges piscines où le pétrole brut est entreposé, à ciel ouvert et sans aucune isolation, raconte-t-elle. «Ils y mettaient le feu, ce qui provoquait des explosions. Ensuite, avec la pluie, toute la terre devenait noire». L’entreprise aurait également répandu, selon les victimes, du pétrole brut sur plus de 1500 kilomètres de routes. Peu à peu, le poison noir envahit terre, air, et eau. Les cadavres de poissons, premiers affectés, commencent à s’accumuler sur les berges des rivières. Puis les enfants développent des réactions de la peau et des maladies «étranges», raconte Mariana: des oreilles, de la gorge, de l’estomac. Le bétail, puis les femmes, commencent à multiplier les fausses couches, et les enfants naissent avec des déformations.

«Nous avons demandé à l’entreprise quel était l’impact sur la santé de ses activités, et elle nous a dit qu’il n’y avait aucun problème, et même que le pétrole était bon pour les rhumatismes!», se souvient Mariana, comme si c’était hier. Mais la population n’est pas dupe. «Nous avons senti que tout le monde commençait à être malade. Dès 1986, nous avons commencé à réfléchir à comment réclamer». Mais il faut d’abord, tout simplement, comprendre ce qui se passe, que le soi-disant médicament est en fait un poison. «En 1989, l’une de mes filles a eu une maladie de la gorge. Des médecins de Quito m’ont expliqué que cela était dû à l’ingestion d’eau contaminée et m’ont dit de ne pas la boire, car elle était toxique. Ceux d’entre nous qui ont cessé d’utiliser cette eau sont encore vivants, mais les autres sont morts pour la plupart». En 1991, 1992, les communautés de la région, organisés en groupes, commencent par se plaindre à Quito, «mais le gouvernement a dit: “Il y a un contrat avec l’entreprise’’ et n’a rien fait. C’est seulement lorsque nous avons porté le cas à une cour new-yorkaise que les choses ont commencé à bouger».

Aujourd’hui, Manuela vit toujours sur les terres polluées, où, grâce au soutien d’ONG, la situation est un peu meilleure, même si l’on continue à y mourir de cancer, dit-elle. «J’y ai mes fils, mes neveux, c’est pour ça que je lutte. Cela ne peut pas continuer comme ça. Partir, sans argent, n’est pas possible. Et puis nous luttons pour toute la province, les descendants, les générations futures. Il faut aussi prévenir les autres pays que cela pourrait leur arriver. Quand on enlève aux gens l’eau, la terre, et l’air, la vie des personnes est en morceaux».