Les multinationales sous la loupe

Mobilisation • Le contre-sommet sur les matières premières se tiendra ces prochains jours à Lausanne. Le focus sera mis sur le fret maritime, maillon essentiel de ce commerce. L’occasion également de rappeler les campagnes en cours pour combattre l’impunité des transnationales.

Du 19 au 21 mars, pour la 7e année consécutive, le «Commodities global summit», organisé par le Financial Times, se tiendra au Beau-Rivage Palace de Lausanne, réunissant les géants du négoce des matières premières. En réaction, le collectif contre la spéculation sur les matières premières, composé d’ONG, d’associations, de syndicats, de partis de gauche et de citoyennes et citoyens, organise son contre-sommet, composé d’une journée de conférences et d’ateliers le samedi 17 mars et d’une manifestation le lundi 19 mars.

«La Suisse est la première place pour le négoce des matières premières dans le monde, et les activités de ce secteur ont de graves conséquences sociales et environnementales, en particulier dans les pays source des matières premières, qui subissent un appauvrissement. Il s’agit également d’une industrie très opaque», a rappelé Melinda Tschanz, coordinatrice du collectif en conférence de presse lundi. Et de citer l’exemple des activités troubles de Glencore pour obtenir des licences minières en République démocratique du Congo, récemment dénoncées par l’ONG Public Eye. L’organisation d’un contre-sommet vise ainsi à faire connaître l’importance de cette industrie en Suisse et à revendiquer plus de transparence, tout comme le respect des droits des populations locales.

Instaurer des mécanismes contraignants
«Actuellement, en cas de violation par les sociétés transnationales des normes en matière de droits humains, de travail ou environnementales, il n’y a soit pas de législation ou de mécanisme qui permette de les poursuivre, soit pas de volonté politique pour le faire», a dénoncé Melik Özden, du CETIM, qui interviendra le 17 mars. Et de donner l’exemple de Chevron-Texaco, condamnée en 2011 à payer 9,5 milliards de dollars par une Cour équatorienne pour avoir pollué des centaines de milliers d’hectares en Amazonie, qui a retiré tous ses actifs du pays afin de se soustraire à l’amende (notre article du 28 octobre 2016). «Comme il n’y a pas de mécanisme international pour poursuivre ces sociétés, ces actes demeurent impunis», poursuit Melik Özden.

Jusqu’à aujourd’hui, seuls des codes de conduites volontaires, qui ont démontré leur inefficacité, ont été mis en place afin d’encadrer l’activité des transnationales. En 2014, sous le leadership de l’Afrique du Sud et de l’Equateur, un groupe d’Etats parvient toutefois à faire voter par le Conseil des droits de l’homme une résolution prévoyant la création d’un groupe de travail pour plancher sur un traité international contraignant. Celui-ci s’est réuni trois fois entre 2015 et 2017 et ses travaux sont attentivement suivis par les 200 organisations de la campagne «Stop corporate impunity», qui revendique également la mise en place d’une cour internationale vers laquelle les victimes pourraient se tourner (notre article du 20 octobre 2017). L’UE et les Etats-Unis s’opposent toutefois fortement au processus. «L’UE se comporte comme une porte-parole des transnationales, pour perpétuer leur impunité!», s’insurge Melik Özden.

Au niveau Suisse, l’initiative sur les multinationales responsables, déposée en 2016 et soutenue par plus de 80 organisations de la société civile, demande elle aussi des règles contraignantes pour que les entreprises multinationales basées en Suisse respectent les droits humains et l’environnement, notamment via l’introduction dans la loi d’un devoir de diligence qui les obligerait à vérifier si leurs activités à l’étranger conduisent à des violations et à y remédier, faute de quoi elles devraient répondre de leurs manquements devant les tribunaux suisses. Elle a toutefois été rejetée par le Conseil fédéral sans contre-projet et la possibilité d’un contre-projet élaboré par le parlement semble compromise, notamment suite à l’actif lobbying d’economiesuisse (notre edito du 15 décembre 2017). A ce jour, la France, qui a adopté un devoir de diligence ainsi qu’un mécanisme de responsabilité civile à l’égard de ses multinationales, fait figure de pionnière en la matière.

Le no 2 du fret basé à Genève
Lors de la journée de conférences du 17 mars, le focus sera mis sur le fret maritime, maillon essentiel du commerce des matières premières et industrie «qui a un impact social et environnemental fort. Un cargo pollue autant que 50 millions de voitures», avance Melinda Tschanz. Fait peu connu, la Suisse, qui n’a pas d’accès à la mer, dispose d’une marine marchande et abrite la «Swiss trading and shipping association», ainsi que, à Genève, le numéro deux mondial du fret maritime, MSC, «société opaque qui n’est pas cotée en bourse». Les récents déboires financiers des armateurs privés suisses, qui ont déjà conduit la Confédération à essuyer des pertes à hauteur de 215 millions début 2017 seront évoqués, tout comme l’impact du nouveau projet fiscal 17 pour les armateurs suisses et le négoce des matières premières en général. Le film L’île sans rivages, de Caroline Cuénod, qui se penche sur les liens de la Suisse avec la mer, sera projeté le soir en avant-première au cinéma Oblo.

Enfin, Anja Straumann, de l’ONG Action de Carême, évoquera l’impact de l’exploitation aurifère au Burkina Faso, dont l’or était raffiné jusqu’en 2015 par la société Metalor, basée dans le canton de Neuchâtel. Dans le cadre d’un atelier, une assemblée villageoise confrontée à une proposition de relocalisation sera simulée. «Il s’agira de montrer les enjeux et les stratégies appliquées par ces entreprises et les difficultés des communautés à mener ces négociations. Ce type de démarche représente un millième des investissements d’une entreprise multinationale mais c’est un désastre pour les populations concernées», a souligné l’intervenante.

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Non au sommet des pilleurs et pollueurs à Lausanne. Forum le samedi 17 mars de 13h30 à 18h au centre socioculturel Pôle sud. Manifestation le lundi 19 mars à 18h à la Place de l’Europe, rassemblement festif à 19h à Ouchy.